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sida, envie d’en être ?

Rencontre avec Stéphane, l’un de nos militantEs

mardi 20 février 2007

sida, envie d’en être ? À cette question, nous répondons : non. Et puis d’autres questions se posent, simples et plus complexes. De ces interrogations est née cette rubrique, un espace pour parler de soi, de son rapport à la maladie, à la sexualité, aux traitements, à la prévention, au monde. Nous sommes des séropositifVEs, des malades, des activistes de la lutte contre le sida. Rencontre avec un de nos militantEs, Stéphane.

Un bref aperçu de ta vie en quelques dates ?
 27 Mai 68 : une femme exténuée s’est mise à hurler à 2 heures 5 du matin : « il est débile ! » ; j’ étais réticent à pousser mon premier cri, ma mère imaginait que le manque d’oxygène était en train de ratatiner mon pauvre petit cerveau.
 1974 : j’ai 6 ans, assis sur le perron en bermuda ; près de moi ma sœur. Je la regarde et je suis content qu’elle existe, que ce soit elle.
 Puis en 1982 j’ai 14 ans : je commence à ouvrir un peu plus les yeux sur le réel.
 Septembre 1986 : je quitte la maison. Ce départ détermine une quantité d’événements qui façonnent mon existence aujourd’hui. Les amis, les amours, les emmerdes, quoi. Juillet 1991 : je me suis senti foutu. À cause de la séropositivité VIH/hépatite.
 En 1989, j’avais déjà éprouvé un cancer traité grâce à une greffe de moelle osseuse. J’étais donc de nouveau mort de peur. Puis en fait, étonnamment, j’ai plutôt bien vécu pendant 10 ans, jusqu’au nouveau millénaire.
 C’est en 2001 que les problèmes de santé liés à l’hépatite m’ont rattrapé.

Tu as eu une jeunesse alternative ?
Ce que je peux dire, c’est que les activités qu’on propose généralement aux garçons ne me convenaient pas. Musicalement, ça n’allait pas du tout non plus avec le goût ordinaire des garçons, ni même de ma famille : je montais le son quand les stars populaires en strass/paillettes apparaissaient à l’écran. Très tôt fan de Sheila. J’y voyais une Super Maman, et une Super Jaimie.

Quand et comment as-tu compris que tu étais homosexuel ?
Il y a eu un continuum d’événements tout au long de mon enfance que j’avais vécus de façon innocente avec d’autres garçons. Par exemple, à l’occasion d’une insomnie en colonie de vacances, à 11 ans, je me suis rendu auprès d’un de nos moniteurs : il m’a proposé de m’endormir avec lui. Il m’a collé à lui, serré très fort, je sentais son souffle, son corps. C’était bon. Sur le moment, j’ai rapproché son invitation de ces matins où, j’allais embêter ma sœur ou mes parents dans leur sommeil pour me glisser dans leur lit et obtenir un câlin. Le réconfort qu’il m’avait apporté était de nature absolument différente. Ce type d’évênements a trouvé une définition lorsque j’ai eu quatorze ans. J’ai compris que j’étais homosexuel, dans toutes ses dimensions, quand il a fallu que je protège mon identité.

Qu’as-tu connu de l’homophobie ?
D’abord, le silence de mes parents : ce « no comment » qui signifie que ma sexualité, pour eux, n’existera pas. J’ai aussi éprouvé des quolibets, des remarques, au collège et au lycée. Des gens qui ne vous connaissent pas s’ingénient à déployer leur sadisme contre vous. Jour après jour, ils vous désarticulent. Aujourd’hui comme hier, mais de manière plus inquiétante, j’assiste à des réactions homophobes, au détour d’une phrase, d’un comportement. Le drame, c’est que tout le monde finit par les intégrer. Il y a une offensive inouïe des ultra-conservateurs pour propager l’idée que les gays ont des droits inférieurs aux autres citoyens.

Tu es enseignant. C’est de l’ordre de la vocation ?
J’ai besoin de rendre service, de me sentir utile, ça me rend heureux. J’enseigne le français. J’ai commencé ma carrière à Drancy, au lycée Eugène Delacroix. Puis en 1996, j’ai été nommé dans le 10ème arrondissement, au collège de la Grange-aux-Belles. À partir de 2003, j’ai été nommé au CNED pour m’occuper de la formation continue en lettres dans le cadre d’un DAEU (Diplôme d’accès aux Etudes Universitaires).

Combien d’hommes ont éclairé ta vie ?
Deux. Ils ont pénétré au cœur de mon système de manière impérissable. Ils n’ont rien éclairé du tout. C’est plutôt un tableau contrasté, en clair/obscur après l’orage. On s’aimait, et malgré tout on n’en a pas raté une pour se faire du mal, aller trop loin. Ça vide complètement. Mais ce n’est pas ce qu’il faut retenir. C’est lui, c’est moi, c’est nous, c’est comme ça. Plus la peine de parler, la communication passe ailleurs, autrement. On pourra toujours me dire qu’il s’agissait d’une aliénation, d’une névrose, d’une addiction, je m’en fous !...

Comment as-tu vécu l’annonce de ta séropositivité ?
Cela a été une catastrophe.

Je crois que les circonstances de la contamination sont particulières, tu peux nous en toucher un mot ? Particulières... ?
Oui et non : elles le sont pour tout un chacun. Lorsqu’on apprend qu’on est séropositif, repasser le film à l’envers, ça ne sert à rien. Il vaut mieux s’occuper de ce qui va se passer, des changements qui interviennent. Le plus dur, c’est la première année. On balise, on anticipe des drames qui heureusement n’arrivent pas. J’avais 23 ans, je me suis retrouvé en face de quelque chose que je ne comprenais pas. J’aurais eu besoin de réponses liées à ma projection dans le temps.

La question n’était pas très adroite effectivement. J’en essaie une autre peut-être tout aussi maladroite. Ce que recouvrait ces « circonstances particulières » c’est que j’ai cru comprendre que la contamination est liée à une transfusion, elle-même liée aux traitements d’un cancer ?
Pour m’aider à traiter ce cancer, il avait fallu recourir à des polytransfusions, jusqu’en 1989. Lorsque ma séropositivité VIH a été découverte en 1991, j’ai demandé au CHU de Poitiers de m’informer du statut sérologique de mes donneurs. Ils étaient 120, issus pour la plupart de la maison d’arrêt de Poitiers. 118 réponses ont été recueillies. 2 personnes étaient manquantes, nous n’avons jamais obtenu d’information sur elles. Cela mis à part, dans l’intervalle de 1990, j’ai eu plusieurs copains dont un, était séropositif. Il ne me semble pas avoir pris de risque avec lui. Mais évidemment, on se pose des questions a posteriori : une micro-coupure ? un risque passé inaperçu ? À l’époque, j’en suis resté à cette indécidabilité. Le poids de la découverte de mon statut VIH+ était suffisamment pénible, j’avais assez à faire avec mon avenir hypothéqué, sans que je mène une investigation dévoreuse d’énergie qui ne me semblait pas prioritaire. Connaître l’origine de la contamination ne m’apportait aucune perspective nouvelle. La conclusion a donc été : cela n’a aucune importance.

Ce cancer, tu peux nous en parler, son arrivée dans ta vie, son traitement, la façon dont tu as vécu cela ? Quel cancer était-ce ?
Il s’agissait d’une maladie de Hodgkin. J’étais en classe prépa ; j’ai commencé à ressentir une fatigue surdimensionnée. D’énormes ganglions dans les poumons sont apparus. On a fait une quantité d’examens. A Paris, le premier traitement chimiothérapie + radiothérapie a duré un an et demi : un échec. La récidive a été traitée en milieu stérile dans un bloc de greffe. On a réalisé une greffe de moelle osseuse. Ce genre d’expérience, c’est un peu comme le bout d’un couloir... Arrivé au terme il y a au choix une plongée dans le vide, ou le retour sur ses pas. Je ne peux pas vous dire comment je l’ai vécu. Je n’aime pas y penser.

Comment ça s’est passé les démarches pour le 100 %, ce genre de chose ?
Pour la prise en charge à 100% des soins médicaux, elle s’est faite immédiatement, au début de la maladie de Hodgkin. Sur l’attestation de la sécurité sociale et sur ma carte vitale, j’ai une prise en charge qui court jusqu’en... 2099 ! Cela donne de l’espoir... Pour la reconnaissance d’un taux d’incapacité par la COTOREP, elle est intervenue au terme d’une démarche que j’ai faite bien plus tard.

Comment se déroulent tes relations avec le monde médical ?
Mon dossier est complexe, j’ai donc à faire à plusieurs spécialistes. Ils communiquent peu entre eux. Le fonctionnement demeure mandarinal. Les hépatologues sont effroyables. On a toujours l’impression qu’ils prennent les gens pour les idiots du village. Pendant les hospitalisations, si on n’y prend pas garde, on est vite broyé par une énorme mécanique hyper-fonctionnaliste, qui balance entre l’infantilisation et l’inhumanité.

As-tu réussi à trouver unE/des médecin ou le rapport te convient ?
Oui, il s’agit d’Odile Picard, mon infectiologue. Je l’aime bien, peut-être parce qu’elle exprime avec beaucoup de franchise, qu’elle n’est pas sûre de tout.

As-tu déjà pris un traitement antirétroviral ?
Dans le désordre, en combinant certains avec d’autres : AZT ; Videx® ; Epivir® ; Zérit® ; Crixivan® ; Viramune® ; Viread® ; Ziagen®.

Ta situation physique, les répercussions de l’infection et des traitements ? La spécificité de la co-infection ?
Depuis 3 ans, ça va moins fort. J’ai maigri, je suis essoufflé aussi. Je sors moins, j’ai dû ralentir mon rythme de vie. Paradoxalement, le VIH reste peu agressif, tandis que le foie est abîmé. Je postulais pour une greffe de foie avec le Pr Samuel. Je viens d’apprendre qu’elle ne se fera pas, je n’ai plus assez de capacité respiratoire pour supporter une intervention longue. La radiothérapie liée à mon cancer de jeunesse, et le triple pontage coronarien de 2003 ont entraîné une insuffisance respiratoire d’environ 50 %. Je l’apprends aujourd’hui. À chaque fois qu’on entreprend de lourdes interventions, on sacrifie un peu de son capital santé. Ça me rend malheureux... Mais quoi ? Il faut bien continuer à vivre. Même si bien sûr je pense quelquefois à la mort. Ce n’est pas la mort qui me fait peur, c’est la souffrance qui la précède.

Est-ce que tout cela à un impact sur ta libido ?
Oui. Surtout quand on a une cirrhose. On produit moins de testostérone. On y pense moins, on n’est plus affamé. En même temps, je me sens plus libre.

Avant que tu ne te saches séropo et après aussi, est-ce que la connaissance du statut sérologique du/des partenaires, changeait/change quelque chose ?
Dans les relations que je peux entretenir, je fais davantage attention à un mec dont je sais qu’il est séropo, qui peut avoir besoin de plus de repos ou plonge mystérieusement dans des moments d’angoisse. Sur le plan strictement sexuel, ça ne change rien.

Quand est-ce que le sida a été une réalité tangible pour toi ? Est-ce que cela à alors influé sur ta vie, ta sexualité ?
Le sida a eu une signification concrète à partir de 1986. J’arrivais à Paris, on en parlait déjà beaucoup. Des garçons étaient en train de mourir. Certains retournaient sans explication chez leurs parents, d’autres disparaissaient de manière fulgurante après une pneumocystose. Cela nous faisait peur. Cet hiver-là, la rumeur courait qu’Isabelle Adjani était très malade, peut-être décédée. Frédéric m’a rejoint un soir pour me dire qu’il connaissait le copain du copain du copain du médecin qui soignait Adjani : elle était morte la veille, etc. ; c’était dingue cette rumeur ! Elle renseignait en même temps sur le niveau d’inquiétude dans Paris... Mon rapport à la sexualité et mon attachement à Act Up, si compliqués qu’ils soient, ne tiennent pas du hasard. Le VIH et le sida sont passés par là. Mon quotidien a été infléchi, c’est un fait. Sans cette histoire, quelles orientations aurais-je donné à mes opinions, mes convictions ? Quels rapports aurais-je entretenu avec l’égoïsme, l’ambition, l’argent ?

As-tu la volonté de te marier ?
Non, mais je veux que les gays puissent disposer de ce droit, par principe.

Aujourd’hui tu vis de quoi ?
Comme hier : de souvenirs, de projets, de pensées sombres, de rêves, de ce que je réussis et de ce qui échoue, de l’air du temps, de mon métier. Je voudrais être amoureux de nouveau. Ce n’est pas une petite annonce, mais un douloureux constat.

Dans dix ans, tu te vois comment ?
Je me vois à la campagne et près de la mer, au grand air. Au beau milieu du Poitou et de la Charente !

Qu’est-ce que tu dirais à unE séroneg sur le fait d’être séropo ?
Je lui dirais : « oh, My Precious !, être séropo c’est essayer de vivre sur une terre brûlée. C’est ton anti-rêve, le contraire de ta terre promise. »