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Edito

mardi 20 février 2007, par Emmanuel Chateau, Hugues Fischer

Il est bien difficile pour un observateur extérieur de comprendre comment une simple épidémie peut générer tant d’injustices. Pourtant c’est bien le constat que nous faisons tous les jours, il n’y a jamais eu autant d’inégalités entre les malades que ce soit au niveau mondial mais aussi plus simplement en France. La publication de l’enquête Vespa dans le numéro de janvier de la revue médicale internationale sur le sida AIDS constitue un réel événement. Jamais l’on n’avait disposé d’une telle étude sur les conditions de vie et la qualité de vie des séropositifVEs. Pourtant, fallait-il devoir attendre une étude, aussi exceptionnelle soit-elle pour enfin considérer la situation sociale d’un grand nombre d’entre nous et l’intolérable inégalité qui existe entre les séropositifVEs en France ?

Depuis de nombreuses années Act Up alerte sur le rapport direct entre précarité et sida. Les conclusions de telles
études permettent de démontrer avec la froideur de la science ce que nous observions intuitivement, ce que nous tentions vainement de dénoncer depuis longtemps, que la précarité anéantit tout le bénéfice des progrès réalisés sur le plan thérapeutique. Et pourtant malgré ces démonstrations flagrantes, la fragilité des situations de nombreux séropositifVEs
au regard du logement, des ressources ou de la reconnaissance du handicap s’aggrave. Mais au-delà de la révolte que ces constats provoquent chez nous, il nous faut aussi nous interroger sur l’efficacité du travail réalisé par les associations pour rendre les malades acteurs de leur maladie.

Force est de le constater, les écarts se creusent entre des malades hyper informés et ceux qui n’ont pas accès à une information pourtant vitale mais de plus en plus complexe. Plusieurs générations de malades avec un vécu et un historique différent ne sont pas confrontés aux mêmes difficultés. Alors que cette épidémie qui nous concerne tous devrait nous inciter à nous coaliser, certains laissent croire que nous pourrions avoir des intérêts divergents.

C’est notamment le cas de ceux qui cherchent à faire apparaître une distinction entre bons et mauvais séropositifs. Depuis près de trois ans, les procès concernant la contamination par le virus du sida défrayent la chronique. Ils sont à l’origine d’une jurisprudence absurde et inefficace qui s’installe progressivement sans que personne ne s’en émeuve. Après avoir connu les années où la solidarité du groupe nous servait de rempart face à la crainte de la mort, comment peut-on accepter que l’on place la désinvolture dans le camp de celles et ceux qui sont atteint pendant que les autres qui sont épargnés voudraient croire qu’on peut vivre comme si le sida n’avait pas existé ? Dans un contexte de normalisation de l’épidémie, le sida n’impliquerait plus un changement comportemental de tous mais paradoxalement serait la seule maladie dont on pénalise la transmission.

Dans la communauté gay, d’autres irresponsables, les mêmes qui avaient défendu un temps la pénalisation de la transmission du VIH avant de virer casaque, surfent maintenant sur l’idée qu’il pourrait suffire de conseiller au gays de choisir leurs partenaires en fonction de leur statut sérologique pour éviter la contamination. Il y a plusieurs années nous avions publié l’affiche NoKpote = Discrimination qui interpellait les gays sur le fait que choisir ses partenaires en fonction de leur statut sérologique pour baiser sans capote c’était de la discrimination. Nous avions alors anticipé cette dérive qui conduit de la vision ségrégationniste que représente le sérotriage à sa version judiciaire, le procès pour contamination. Mais de quelle idéologie se réclament donc ceux qui veulent nous faire croire au système où les anges déchus séropositifs n’ont plus leur place au paradis ?

Plus que jamais, face à une épidémie qui isole ou divise, il est nécessaire pour nous de nous rassembler pour lutter. Le contexte des élections présidentielles
est propice pour obtenir (parfois seulement garantir) des avancées dans notre prise en charge médicale, sociale ou psychologique. Arracher enfin un réel engagement de la France dans la lutte contre le sida au niveau mondial parce que l’on est incapable de gober nos cachets tous les jours sans penser que plus de 90% des malades dans le monde n’y ont pas accès.

C’est ce qui va nous occuper les mois qui viennent à Act Up-Paris : transformer notre vécu de séropo, de séronegs, de gouine, de trans’, de femme, d’étranger ou de pédé touchéEs par l’épidémie en revendication. C’est ensemble exiger des candidats à l’élection présidentielle qu’ils prennent position sur le sida et cette épidémie, qu’ils répondent publiquement à nos questions. Ce travail nous voulons le mener avec vous.