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CachéEs et ignoréEs, prisonnièrEs.

novembre 2006

En l’absence d’outils épidémiologiques valables qui permettent d’évaluer le taux de transmission du VIH et des hépatites B et C, nous traduisons ici les résultats d’une étude américaine publiée sur le site d’Eurosurveillance.

En France, dans nos prisons, les programmes de prévention et de réduction des risques souffrent de nombreuses difficultés : manque de moyens humains et financiers, situations éparses selon les centres de détention, antagonisme entre impératifs sécuritaires et impératifs sanitaires, difficulté de traiter des questions relatives à la sexualité. Par ailleurs, les prisons françaises ne sont toujours pas pourvues d’outil épidémiologique qui permet d’évaluer le taux de transmission des VIH, VHB et VHC. Aujourd’hui on incarcère toujours des personnes séropositives, cette étude a le mérite de montrer que la prison, par un manque flagrant de programme de prévention et de réduction des risques (RdR) contamine toujours les détenuEs.

Transmission du VIH dans une partie du système carcéral américain ; implication pour l’Europe.

Une étude américaine [1] a montré que la transmission du VIH pouvait avoir lieu dans les prisons de l’État de Georgie. Entre juillet 1988 et février 2005, 88 détenus testés négatifs lors d’un test obligatoire à l’entrée en prison, ont été déclaré séropositifs par un test ultérieur, ce qui prouve que leur séroconversion a eu lieu durant leur l’incarcération. Les comportements à risque en prison, notamment le tatouage et les rapports sexuels entre hommes sont associés à la séroconversion. L’estimation de la prévalence au VIH chez les prisonnièrEs dans les prisons américaines est de 2 % et nombre de pays européens ont un taux de prévalence bien supérieur, qui peut s’élever dans certains cas à plus de 10 %. Si l’on tient compte d’une prévalence élevée dans certains pays d’Europe ainsi que du nombre limité de programmes de prévention et de RdR actuellement mis en place, cette étude américaine met en lumière l’urgence d’étudier le problème afin de trouver le moyen de prévenir les risques de transmission du VIH parmi les détenuEs en Europe. L’étude américaine a démontré que les détenus devenus séropositifs ont eu 10 fois plus de rapports sexuels entre hommes et ont été tatoués 14 fois pendant leur incarcération que le groupe témoin de prisonniers qui sont restés séronégatifs. (...) Par ailleurs les détenus indiquent quant à eux que les programmes de prévention du VIH devraient inclure la distribution de préservatif (38 %), d’information sur le VIH (22 %) et de la mise en place de pratique de tatouage safe (13 %).

L’étude conclut clairement au lien entre la contamination et l’incarcération et sur la nécessité de mettre en place des programmes de prévention.

Les usagerEs de drogue par voie intraveineuse et les prisons en Europe.

Le taux de prévalence du VIH chez les détenuEs en Europe est associé à leur usage de drogue et au tatouage mais le mode et le taux de transmission dans l’enceinte des prisons n’a encore jamais été étudié. Que ce soit en Europe de l’Est ou de l’Ouest, les usagèrEs de drogue par voie intraveineuse sont surreprésentéEs dans la population carcérale. Une étude récente menée dans 10 villes européennes sur les usagèrEs de drogue montre que 60 % d’entre eux et elles s’étaient injectéEs des drogues au cours de l’année précédente et 55 % avaient déjà été emprisonnéEs [2]. D’autres études indiquent qu’entre 8 et 60 % des détenuEs en Europe ont déjà consommé des drogues en détention, notamment par voie intraveineuse [3]. Comme aux USA, les détenuEs européenNEs ont plus de risque que la population générale d’être infectéEs par le VIH à cause de l’usage de drogue et du partage de matériel d’injection, notamment s’ils et elles poursuivent cette pratique en détention. (...) Le taux de prévalence dans les prisons européennes varie entre moins de 1 % en Angleterre, 11 % au Portugal et 12 % en Estonie. Si l’on considère par ailleurs le taux élevé d’emprisonnement chez les usagèrEs de drogue par voie intraveineuse dont près de la moitié continue les injections en détention et la coexistence d’autres pratiques à risques tel que des rapports sexuels non protégés entre hommes et le tatouage, la prévention de la transmission du VIH en prison est une question très importante. Alors que l’on dispose des outils validés pour réduire la transmission du VIH en détention, l’accès à la prévention et à la RdR reste rare et souvent inférieure à ce qui est proposé à l’extérieur.

Il est évident que les programmes de prévention et de RdR en prison sont efficaces.

Une revue de la littérature scientifique à propos des programmes d’échange de seringues en détention a montré que dans ces expériences l’usage de drogue diminue ou reste stable dans le temps et que le partage de seringues décline considérablement. Aucun nouveau cas de transmission du VIH, d’hépatite B et C n’est à déplorer [4]. Malgré la nécessité de mettre en place des programmes d’échange de seringues, l’Espagne est le seul pays européen à avoir instauré systématiquement ce genre d’action. Il existe également d’autres mesures de RdR tel que les traitements de substitution, la distribution de tablettes désinfectantes et de préservatifs mais ces actions ne sont pas systématiquement mis en place ou sont souvent sous-développées et mal coordonnées.

La déclaration de l’OMS sur la santé en détentionréclame que cette question soit traitée comme un problème de santé publique à part entière et insiste pour que l’accès aux soins soit équivalent en prison et à l’extérieur. Dans de nombreux pays européens, la santé en détention n’est pas bien prise en compte et il y a peu de voix qui s’élèvent pour réclamer une protection sanitaire en prison équivalente à celle de l’extérieur. Parmi les détenuEs, nombre d’entre elles et eux appartiennent à des populations marginalisées tels que les usagèrEs de drogues, par voie intraveineuse ou non, les sans abris, les individus ayant des problèmes psychiatriques nécessitant des soins. Il existe cependant une reconnaissance grandissante qu’un bon accès aux soins et à la santé en détention améliore la santé publique. Ne pas mettre en place une politique de prévention du VIH efficace en détention risquerait de minorer les efforts pour diminuer la transmission du VIH à l’extérieur puisqu’une grande partie des détenuEs seront un jour libéréEs et seront de nouveaux des citoyenNEs libres. Prévenir la transmission de maladies infectieuses dont le VIH dans les prisons est un élément important d’une politique de santé publique même si aujourd’hui tout le monde ne le reconnaît pas encore.

Les recommandations suivantes ont donc été posées :

 Proposer des tests de dépistage à l’entrée, à la sortie de prison et tout au long de l’incarcération.

 Mettre en place à l’intention des détenuEs des stratégies de prévention sexuelle et de RdR efficace afin d’assurer une protection en termes de santé publique.

 Mettre en place des actions de lobby centrées sur les questions de santé en prison afin d’obtenir des engagements politiques précis ainsi que de santé publique.

 Inclure en prison des équipes chargées de prévention sexuelle et de RdR à toutes les étapes de l’incarcération d’unE prisonnierE.

 Joindre les efforts de tous les professionnelLEs de la prison, des ministères concernés, des ONG et des institutions internationales comme l’OMS afin de faire de la prévention en prison un sujet incontournable.

 Adapter et introduire en prison une approche de la RdR qui a montré son efficacité à l’extérieur.

AuteurEs :
AC Testa, F Ncube, ON Gill, Prison Infection Prevention Team, Health Protection Agency Centre for Infections, London, Royaume Uni
C Weilandt, European Network on Drugs and Infections Prevention in Prison (ENDIPP), Wissenschaftliches Institut der Ärzte Deutschlands (Scientific Institute of the German Medical Association), Bonn, Allemagne.


A partir de cette étude, quelles remarques pouvons nous faire concernant la transmission du VIH et des hépatites dans les prisons françaises ?

En 2002, le taux de prévalence du VIH en milieu carcéral était estimé à 1,56 % (contre O,5 % à l’extérieur), 2,3 % des détenuEs étaient porteurSEs du VHB (contre 0,2 % à l’extérieur) et 4,4 % du VHC (contre 1 % en milieu libre) d’après le rapport d’expertEs sur la prise en charge des personnes infectées par le VIH dirigé par le Pr Delfraissy, Flammarion 2002. Même si ces chiffres n’ont pas été réactualisé depuis, tout porte à croire qu’ils sont restés inchangés. Cette enquête américaine est la première a démontré le risque majeur qui existe à se contaminer au VIH lors d’une incarcération. Outre des taux de prévalence très largement supérieurs au milieu libre, cette enquête insiste sur le manque de programme de prévention sexuelle et RdR à destination des détenuEs. La France n’est toujours pas pourvue d’outils épidémiologiques qui permettraient de connaître avec précision et de manière systématique le nombre de séropositifVEs incarcéréEs et d’évaluer scientifiquement le nombre de contaminations qui ont lieu pendant la détention et selon quelles modalités. Malgré le manque d’évaluation scientifique, et jusqu’à preuve du contraire, tout porte à croire que l’on se contamine dans les prisons françaises du fait d’un manque flagrant de programme de prévention et de RdR. La mise en place d’une enquête épidémiologique en prison est une revendication constante d’Act Up-Paris. La Direction Générale de la Santé a été saisie à ce sujet et affirme étudier la faisabilité d’une telle démarche.

La loi du 18 janvier 1994 a fait de la santé en détention une prérogative du ministère de la Santé et non plus de la Justice et a notamment crée les UCSA (Unité de consultation et de soins ambulatoires) ce qui a considérablement amélioré l’accès aux soins en détention. Cependant, les impératifs sécuritaires imposés par l’Administration pénitentiaire (AP) ont réduit la portée de cette réforme, notamment en termes de mise en place de programmes de RdR qui ont pourtant montré leur efficacité à l’extérieur à réduire la transmission du VIH et dans une moindre mesure des hépatites. Contrairement à la loi de 1994 qui prône un égal accès aux soins entre l’extérieur et l’intérieur, l’AP est réticente à mettre en place des programmes d’échange de seringues, en refusant d’introduire en prison des seringues qui selon eux pourraient être utilisées comme des armes par les prisonnièrEs contre leurs gardienNEs. Par ailleurs elle affirme qu’il ne lui appartient pas de faire la « promotion » de l’usage de drogue alors qu’un grand nombre de détenuEs ont été incarcéréEs pour des délits relatifs à la détention, la vente ou à l’usage de stupéfiants. Ce faisant l’AP n’a aucune considération pour la santé des détenuEs ni par extension, pour la santé publique.

Cependant, la RdR n’est pas tout à fait absente du milieu carcéral même si elle ne se fait pas sans difficulté. Les détenuEs se voient aussi distribuer des doses d’eau de javel, dont une de ses utilités est de désinfecter le matériel d’injection. Cela se fait sans aucun accompagnement et sans action concrète de prévention et de RdR alors que la stérilisation du matériel d’injection nécessite certaines précautions pour éviter tout risque de contamination au VHC. De plus, l’insalubrité des prisons est telle que les détenuEs se servent avant tout de l’eau de javel pour nettoyer leurs cellules.

En matière de prévention sexuelle chaque détenuE à son arrivée en détention se voit remettre un pack d’entrée avec des produits de première nécessité tels que du savon et des préservatifs. Tout au long de son incarcération, les détenuEs peuvent se fournir en préservatifs dans l’UCSA de sa prison mais aux yeux et au sus de touTEs, que ce soit le personnel soignant, surveillantEs ou détenuEs. Reconnaître avoir des relations sexuelles en prison met la personne qui le fait en situation de vulnérabilité. La grande difficulté de faire de la prévention en direction des détenuEs est qu’elle s’adresse à des hommes et des femmes qui peuvent avoir des pratiques sexuelles avec des hommes ou avec des femmes sans pour autant se déclarer homosexuelLEs.

Depuis longtemps, les associations ont bien noté le manque de prévention en détention. Des actions plus ou moins ponctuelles et assez disparates sur l’ensemble des prisons françaises sont mises en place pour améliorer la prévention en milieu carcéral. Les UCSA qui pourraient assumer une partie des actions de prévention et de RdR doivent faire face à un cruel manque de budget, de personnel soignant face à une population carcérale qui n’a jamais été aussi importante et à qui l’on doit d’assurer un bon accès aux soins. Dans ce contexte, l’éducation à la santé, la prévention et la RdR ne peuvent pas être la priorité des UCSA. Ce rôle est dévolu aux associations, pour celles qui arrivent à monter de tels projets en défiant les réticences des directeurs/trices d’établissements.

Les associations se substituent ainsi aux pouvoirs publics et notamment au rôle que devrait jouer le ministère de la Santé. C’est pourquoi Sidaction, organisme qui finance des projets de lutte contre le sida a décidé ces deux dernières années de mettre l’accent sur la prévention et la RdR en détention, d’encourager et d’accompagner les associations qui le souhaitent dans leurs projets et de pérenniser leurs actions d’une année sur l’autre. Ce mouvement doit se voir accompagner d’une réelle politique de prévention et de RdR en détention financées et coordonnées au niveau national par le ministère de la Santé pour que puisse réellement s’exercer en prison l’éducation à la santé qui peut, au même titre que l’emploi ou le logement, être un facteur de réinsertion.


[1Centers for Disease Control and Prevention. HIV Transmission Among Male Inmates in a State Prison System - Georgia, 1992-2005. MMWR Weekly. 21/04/2006.

[2March JC, Oviedo-Joekes E, Romero M. Drugs and social exclusion in ten European cities. Eur Addict Res. 2006.

[4Dolan K, Rutter S, Wodak AD. Prison-based syringe exchange programmes : a review of international research and development. Addiction. Février 2003.