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Lucky, unlucky.

juin 1997

En France, quand un pédé séronégatif se fait enculer par un pédé séropositif et que la capote se déchire - ou glisse - juste avant ou au moment de l’éjaculation, on appelle ça « un accident de capote ». Les recommandations officielles invitent seulement à attendre trois mois avant de faire un test pour savoir si le pédé séronégatif est devenu un pédé séropositif. Quels gestes peut-on et doit faire immédiatement pour limiter la graviter de l’exposition au VIH ? Peut-on s’adresser à un médecin ? Faut-il aller aux urgences de l’hôpital le plus proche ?

Les pédés ne sont évidemment pas les seuls à attendre ces réponses : les hétéros et les toxicomanes eux aussi sont soigneusement tenus dans l’ignorance, et facultativement abandonnés à leur angoisse.

En France, quand un professionnel de santé - médecin, infirmière, aide-soignant(e) - se blesse avec une aiguille contenant du sang appartenant à un malade infecté par le VIH, il peut bénéficier dans les quatre heures qui suivent cet accident d’un traitement prophylactique pour prévenir une éventuelle contamination. Il s’agit d’une trithérapie AZT/3TC/Indinavir de 30 jours dont la puissance antirétrovirale peut empêcher le virus du sida d’infecter les cellules.

Dès l’accident, les professionnels de santé connaissent les gestes simples qui limitent les risques de transmission : comment désinfecter efficacement la plaie, comment se nettoyer les yeux en cas de projection de sang, etc... Ils ont le choix de suivre ou de ne pas suivre la prophylaxie, ils peuvent évaluer avec un médecin réfèrent la nature de l’exposition qu’ils ont subie - massive ou minime - et sont informés des avantages de cette trithérapie, de ses effets secondaires et des incertitudes quant à l’efficacité du traitement.

Ces dispositions sont contenues dans la note n° 666 de la DGS du 28 octobre 1996 « relative à la conduite à tenir pour la prophylaxie d’une contamination par le VIH en cas d’accident avec exposition au sang ou à un autre liquide biologique chez les professionnels de santé ». Elle fixe de façon extrêmement détaillée les règles médicales à suivre immédiatement après un accident : depuis sa mise en application, les contaminations baissent parmi les professionnels de santé. Outre les récentes et nombreuses données montrant l’efficacité des trithérapies en traitement curatif, ces recommandations s’appuient sur une étude rétrospective cas témoin réalisée en Europe et publiée par le CDC aux Etats-Unis, qui montre une réduction de 80% du risque du risque de contamination par le VIH après exposition percutanée chez les soignants ayant pris de l’AZT (BEH 18/1996 du 29 avril 1996).

Il existe dont, en France, un dispositif de prophylaxie pour prévenir la primo-infection... mais réservé aux soignants et restreint à la transmission sanguine. Dans cette note discrète, de lourdes discriminations se profilent, qui nous ramèneraient quinze ans en arrière si elle n’était pas clarifiée et élargie : les dangers professionnels opposés aux risques sexuels, la bonne infirmière opposée au méchant pédé, les pauvres victimes du sang aux irresponsables du sperme. S’il fallait chercher des arguments pour convaincre les pouvoirs publics du caractère non-éthique des critères retenus, il suffirait d’ailleurs de puiser dans la note elle-même : on peut y lire que « le contrat médical qui lie le patient à son médecin » prévoit que les soins prodigués par celui-ci doivent être « consciencieux, attentifs et (...) conformes aux données actuelles de la science ». Or il n’existe aucun argument dans les « données actuelles de la science » pour choisir d’un côté de traiter en prophylaxie un chirurgien blessé en présence de sang infecté et d’un autre côté de ne pas traiter, par exemple, une femme exposée au sperme se son amant séropositif.

Le traitement préventif de la contamination par le VIH en cas d’accident avec exposition au sperme existe d’ailleurs déjà partiellement en fait : aux Etats-Unis, le cas a été rapporté d’une femme qui a décidé de se traiter avec la trithérapie de son mari séropositif immédiatement après une rupture de capote. À l’hôpital Bichat-Claude Bernard, des personnes informées se sont déjà présentées après une rupture de préservatif avec un partenaire séropositif et ont pu bénéficier d’un traitement préventif conforme au protocole des professionnels de santé. A San Francisco, un essai vient de commencer pour évaluer les besoins - en particulier des gays - pour de tels traitements, les conditions effectives de leur mises en place (information, accueil d’urgence , etc...) et leur efficacité à grande échelle.

Il semble d’ailleurs que les rédacteurs de la note n°666 aient senti ses ambiguïtés et aient tenté d’y remédier - mais in extremis, comme par scrupule, et en s’arrêtant à mi-chemin : « la prescription, pourra être éventuellement faite chez toute personne n’appartenant pas au milieu de soins et venant se présenter aux urgences suite à une exposition importante à du sang infecté ». Atermoiements, demi-mesures : on élargit aux non-soignants, mais on évince définitivement le sperme. C’est la valse des jurisprudences-fiction : un couple sérodifférent peut donc se présenter à l’hôpital pour bénéficier de ce protocole après s’être broyé ensemble les doigts dans la tondeuse à gazon, mais pas après une rupture de capote. A l’inverse, une infirmière - ou un infirmier - qui aurait une relation sexuelle avec un patient VIH de l’hôpital se verrait-elle refuser le traitement après une éventuelle exposition au sperme de son partenaire ?

En privé, les cliniciens spécialistes du VIH admettent que l’inégalité entre accidents avec exposition au sang et accidents avec exposition au sperme va finir par poser un énorme problème de responsabilité individuelle et collective.

Hervé Gaymard le savait, Bernard Kouchner le saura très vite.

Act Up-Paris n’attendra pas passivement qu’une décision ministérielle rationalise l’accès de tous ceux qui en auront besoin à cette prophylaxie. D’une façon ou d’une autre, le protocole de la note n°666 doit être très rapidement étendu au sperme et élargi à toutes les personnes exposées au VIH. Act Up-Paris demande au nouveau secrétaire d’Etat à la Santé, Bernard Kouchner, de se saisir immédiatement de cette question. S’il ne le fait pas, nous nous en chargerons.