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A Durban, on a marché sur la lune

octobre 2000

Il aura fallu quinze ans, et tellement de morts que les chiffres ressassés sans cesse sont devenus obscènes. Mais enfin, c’est fait : à la dernière Conférence Internationale sur le sida, qui s’est tenue en juillet à Durban en Afrique du Sud, on a enfin envisagé de donner des traitements aux séropos des pays en développement.

C’est une étape qui compte, pour laquelle nous nous battons depuis la création de la commission Nord/Sud d’Act Up-Paris. Les fonctionnaires internationaux, amoureux des débats du genre " l’accès aux traitements se fera-t-il au détriment de la prévention ? " ont désormais perdu.

Le top du top en effet, depuis Durban, ce n’est plus d’ergoter sur l’alternative traitements/prévention. Le débat vraiment " tendance ", c’est la bagarre entre les produits de marque et leurs copies, entre les cow-boys des multinationales et les Indiens qui sortent de l’ombre avec leur énorme industrie du générique.

A Durban, Act Up-Paris était à la pointe de la nouvelle mode : lors de la première conférence de presse des agences onusiennes, nous nous étonnions publiquement de devoir faire le boulot de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) à sa place, et nous invitions les délégations gouvernementales présentes à venir rencontrer ceux qui deviendront les stars de la presse : les producteurs de génériques.

La première réunion officielle entre les vendeurs de copies et leurs clients potentiels s’est donc déroulée sous l’égide d’Act Up-Paris, dans une stricte intimité qui faisait baver de jalousie les journalistes restés devant la porte. Les trois principaux fabricants de génériques anti-VIH — le gouvernement brésilien, le numéro 2 de l’industrie pharmaceutique indienne, et le gouvernement thaïlandais — ont présenté leur offre à une quinzaine de délégations de pays en développement.

Bien sûr, aucun accord d’importation de génériques n’a été conclu au cours de cette première réunion. Mais, si le succès de la rencontre ne se mesure pas à son chiffre d’affaire, ce fut un événement en soi. D’abord parce qu’elle n’avait pas de précédent, du moins officiellement ; ensuite parce qu’elle aura au moins contribué à deux choses : montrer aux gouvernements qu’il existe une alternative aux médicaments de marque hors de prix, et briser le " tabou " des relations entre gouvernements des pays en développement et fabricants de génériques de médicaments sous brevet.

Un " tabou " fondé sur des recettes très simples. En effet, ces pays connaissent souvent un large trafic de faux médicaments — de pilules qui ressemblent aux médicaments de marque mais ne contiennent en fait aucun principe actif. La copie y est donc mal vue et à juste titre. En outre, les personnels de santé ne sont informés des possibilités thérapeutiques que par les documents commerciaux des multinationales. Les grands laboratoires ont alors beau jeu d’introduire toutes les confusions imaginables entre génériques et faux médicaments, et de présenter la fabrication de médicaments comme une industrie de pointe si sensible, qu’en dehors des produits issus de leurs propres usines, la qualité des médicaments ne peut absolument pas être assurée. La représentation domine dès lors, de génériques constituant des médicaments de seconde catégorie, a priori suspects.

Pour ce qui est des antirétroviraux spécifiquement, les laboratoires se sont, depuis le début de l’épidémie, livrés à une propagande — intensifiée d’ailleurs avec l’introduction des génériques brésiliens, indiens et thaïlandais — visant à imposer l’idée que les médicaments contre le VIH sont particulièrement difficiles à fabriquer, que leur production industrielle est extrêmement onéreuse, et que leur prix ne pourra jamais baisser que de manière peu significative. Mais, sur ce point en particulier, les représentants des gouvernements du Sud qui ont rencontré des " génériqueurs " à Durban ont été convaincus : les prix des génériques, après seulement quelques années d’amortissement des frais, sont largement inférieurs à ceux des médicaments de marque (de près de 80% à 95%), sans être pour autant de moindre qualité.

Ces chiffres sont connus de certains hauts fonctionnaires de la santé dans les pays en développement, mais sans qu’il en résulte aucune prise de contact en vue d’importations. En raison de la peur de pressions diplomatico-commerciales (les Etats-Unis pèsent lourd contre l’Afrique du Sud, la Thaïlande, le Brésil, la République Dominicaine ), ou de pressions que l’industrie la plus richissime du monde sait faire peser localement sur ses interlocuteurs, dans les ministères des pays pauvres. Le fait d’avoir réuni de nombreux pays ainsi que les producteurs de génériques, et d’avoir fortement médiatisé cette rencontre au sein de la conférence, aura permis d’ouvrir publiquement la brèche sur ces questions.

En fin de conférence, les bonnes nouvelles pleuvaient donc : l’Afrique du Sud serait à nouveau déterminée à octroyer à ses industries le droit de copier des traitements sous brevet. Le Brésil en offrant aux plus demandeurs ses technologies de fabrication de génériques a remporté un franc succès ; un semblant d’accord politique serait passé entre la Chine, le Nigéria, le Brésil et l’Afrique du Sud.

Coïncidence, pourtant : l’industrie pharmaceutique a décidé que le moment était venu de reprendre son procès contre le gouvernement sud-africain, pour qu’il continue d’interdire la fabrication ou l’importation de médicaments produits par des " génériqueurs ".

Les fabricants de génériques sont plus que jamais soumis à la pression des multinationales. Les procédures d’enregistrement de leurs molécules dans les pays commenditaires, en Afrique en particulier, sont systématiquement bloquées par les menaces des grands labos.

A l’heure actuelle, aucun accord officiel de transfert de technologie n’a été signé. Par conséquent, aucune commande d’ampleur n’a été ouvertement conclue entre aucun producteur de génériques et aucun pays africain.

La guerre aux labos ne fait que commencer.