Accueil > Femmes > La place des femmes

La place des femmes

mai 2001

Qui s’intéresse aujourd’hui à la question du sida des femmes d’un point de vue thérapeutique ? Qui s’interroge sur les problèmes médicaux spécifiques rencontrés par les femmes, sur leur place dans les essais ? Ils sont rares ceux qui, dans le milieu médical ou associatif, s’obstinent à porter ces questions.

Pourtant, les rares données qui sont produites sur ce sujet soulèvent immédiatement des questions cruciales en termes de choix de priorité et de méthodologie : quels sont les champs de recherche à explorer en priorité - et/ ou :
 faut-il définir des priorités ?
 Vers quelle méthodologie faut-il s’orienter ?
 Faut-il imaginer des essais spécifiquement féminins ?
 Faut-il systématiser, dans tous les essais, les bras féminins, de façon à obtenir des résultats sexués dans tous les domaines ?

Toutes ces interrogations appellent des réponses.

Elles ne pourront en trouver cependant que si la question des spécificités féminines s’impose au champ de la recherche.

Le 16 mars dernier, la journée d’étude organisée par le TRT-5 sur les effets indésirables des traitements, donnait l’occasion à la commission femmes d’Act Up-Paris de faire le point sur la question.

En France, les femmes sont sous-représentées dans les essais thérapeutiques. Tout ce qu’on sait d’elles provient d’études réalisées hors du champ sida. Il est possible de trouver des informations sur l’ostéoporose des femmes, sur le diabète des femmes, sur les problèmes liés au cycle menstruel, mais à peu près rien sur le sida des femmes. Pourtant, la représentation des femmes dans les essais est une revendication que nous portons depuis longtemps déjà. Encore aujourd’hui, alors que le nombre de femmes séropositives augmente, elle se heurte à une sorte d’indifférence ou de surdité.

Contrairement à ce qu’avançait l’ANRS il y a quelques années, le nombre de femmes incluses dans les essais n’est pas à l’heure actuelle représentatif du nombre de femmes infectées (25% de femmes pour 75% d’hommes). Sans tenir compte des essais concernant la Transmission mère-fœtale (TMF), le taux de femmes incluses avoisine les 18%. Dans les essais menés par l’industrie pharmaceutique, les chiffres sont souvent plus bas encore. D’une manière générale, dans les essais de phase 1 (qui testent la toxicité du produit et fournissent une première évaluation des dosages), les femmes frôlent l’invisibilité. Les représentations les plus surannées des femmes - simple ventre reproducteur- perdurent ; et les labos continuent de nous répéter qu’ils ne veulent pas leur faire courir le risque de mettre au monde des enfants anormaux (les femmes peuvent toujours tomber enceintes en l’espace d’un rien de temps, comme chacun sait) ou d’avoir des problèmes ovariens, etc., alors que la réalité est sans doute plus crue : inclure des femmes à ce stade des essais complexifierait la recherche, et coûterait par conséquent plus cher. Dans les essais de phase II (où sont évaluées la dose et l’efficacité du produit), la situation n’est guère plus satisfaisante - par exemple, dans l’essai de phase II mené actuellement sur le T20 par Roche, 3 femmes seulement ont été recrutées sur 70 volontaires. A procéder ainsi, le jour où un produit est mis sur le marché, ses effets spécifiques sur les femmes restent le plus souvent inconnus - il ne reste plus alors qu’à les découvrir in vivo.

Le problème de la place faite aux femmes ne concerne pas que la recherche fondamentale. Récemment, divers chercheurs se sont penchés sur les différences de prise en charge, chez les hommes et chez les femmes séropositifs ou malades du sida (on peut notamment citer une enquête Aides/Ipsos réalisée en 1999 ainsi qu’une étude américaine consacrée aux soins cliniques dont bénéficient les femmes). Les résultats de ces études convergent et montrent que les femmes sont en général diagnostiquées plus tard, sont plus nombreuses à se présenter aux urgences, sont moins nombreuses à recevoir une prophylaxie anti-pneumocystose et également moins nombreuses à recevoir une multithérapie. En d’autres termes, elles ont tendance à être « sous traitées « (moins traitées, et/ ou moins bien traitées) par rapport aux hommes. Et ce n’est pas sans conséquence puisqu’elles sont globalement, aussi, plus exposées au décès.

Sous-représentées dans la recherche, moins bien traitées au moment de la prise en charge, les femmes séropositives sont ainsi régulièrement mises hors jeu, tandis que les retards pris dans l’analyse de leurs besoins thérapeutiques aggravent leur situation à l’égard du sida. Il apparaît significatif à ce titre qu’une proportion plus importante de femmes que d’hommes disent arrêter leur traitement à cause des effets secondaires ou décident d’elles-mêmes de diminuer les dosages de leurs traitements antirétroviraux. On a coutume de dire qu’elles ont plus de mal à accepter de se soigner que les hommes, ou que la coquetterie leur rendrait insupportables certains effets secondaires (comme les lipodystrophies), mais n’est-ce pas avant tout parce que les effets spécifiques que leur causent les traitements ne sont pas pris en compte ?

S’agissant des effets secondaires des traitements, les données manquent cruellement en effet, mais trois séries de problèmes peuvent déjà être dégagées.

 Tout d’abord, les effets secondaires communs aux hommes et aux femmes peuvent trouver des formes plus accentuées, et parfois beaucoup plus graves chez les femmes (lipodystrophies, ostéoporose, ostéonécrose, etc.).

En ce qui concerne les lipodystrophies, par exemple, il semble qu’il y ait des différences importantes en fonction du sexe. Ainsi, dans plusieurs études américaines, les femmes se montrent plus sujettes à des dépôts de graisse que les hommes (63% vs 8%) qui sont eux plus exposés à la fonte des tissus adipeux (55% vs 8%) (Source : EATN, été 2000, pp.8 et 11.).

Les problèmes d’ostéoporose et d’ostéonécrose ne sont pas non plus des problèmes spécifiques aux femmes, du moins en tant qu’effets secondaires des traitements antirétroviraux ; cependant, parce qu’elles ont une densité osseuse a priori moindre que celle des hommes, et dans la mesure où la ménopause est généralement chez les femmes une période d’accélération de l’ostéoporose, la prise de traitements exigerait un suivi plus étroit des femmes sur ces questions. Le Professeur Rozenbaum à Rotshchild a pourtant préféré exclure les femmes de son investigation, répondant aux activistes qui l’interrogeaient à ce sujet qu’il était « trop compliqué d’intégrer aussi les données qui les concernent ».

On peut encore signaler l’exemple de la névirapine, cet analogue non nucléosidique utilisé de plus en plus massivement dans le cadre de la prévention de la transmission mère-enfant, et dont la consommation peut provoquer des effets secondaires très violents (éruptions cutanées et/ ou atteintes hépatiques parfois mortelles) affectant de façon beaucoup plus importante les femmes que les hommes : si on ne tient pas compte de la différence des sexes, comme nous l’écrivions dans le dernier n° d’Action (n°72), ces effets indésirables se développent chez 17% des personnes exposées à ce produit, mais si on tient compte de la différence des sexes, le risque de les développer est 7 fois plus élevé chez les femmes.

 En second lieu, on constate des effets secondaires liés ou accrus par des posologies mal adaptées. Ce qui nous renvoie au problème de l’absence des femmes dans les essais de phase II ; et repose par ailleurs le problème de l’accès aux dosages plasmatiques qui permettraient d’ajuster plus efficacement les posologies aux besoins de chaque malade, comme à celui des galéniques disponibles pour les traitements (les produits fournis sous forme de gélule sont difficilement sécables et présentent des dosages souvent trop élevés pour les personnes de faible poids). Par ailleurs, différentes études ont montré que les variations hormonales influent sur les mécanismes de métabolisation des produits. Une étude menée en 1995 (Currier, 2000) a montré par exemple que les femmes métabolisaient l’AZT deux fois moins vite que les hommes, et devaient voir adapter par conséquent les posologies de leur traitement.

 Enfin, la troisième série d’effets secondaires spécifiques aux femmes est liée au cycle menstruel (anémie, irrégularités du cycle, interactions entre hormonothérapies de substitution, problèmes de stérilité, etc.).

Un certain nombre de complications sont signalées par des femmes autour de nous, ou repérées de manière empirique, mais elles font rarement l’objet d’investigations systématiques, au moins en France.

Le recensement de ces effets, s’il soulève plus de questions qu’il n’apporte de résultats, témoigne en tout état de cause de la nécessité d’étudier les problèmes spécifiques des femmes. Par ailleurs, il ne faut pas se voiler la face : le peu que l’on sait aujourd’hui, on le sait parce qu’on l’a cherché. Si certaines choses ont été découvertes par hasard et de façon dramatique (par exemple les effets secondaires de la névirapine), la plupart des données évoquées ici sont issues d’études de cohorte réalisées aux Etats-Unis et dans différents pays européens (en Allemagne, en GB). Mais en France, aucune cohorte de femmes n’a vu jusqu’à présent le jour. Le retard est considérable. Il y a urgence à réagir. Il y a urgence également à ce que les associations s’emparent de ces questions.