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Dossier porno et sida

Droits des actrices et des acteurs

vendredi 23 juin 2006

La protection de la santé est un droit élémentaire auquel peut prétendre toutE employéE et qui incombe à l’employeurSE, eu égard au Code du travail. Les tournages réalisés sans préservatifs font prendre des risques considérables aux actrices et aux acteurs en termes de transmission des IST, dont le VIH/sida.

Deux arguments sont utilisés par les productions pour tenter de se dédouaner.

 Le premier est celui de la responsabilité individuelle. Les acteurRICEs, conscientEs des risques pour leur santé, choisissent en toute liberté de les courir. Mais cette liberté est très relative : les cachets plus élevés proposés par les productions, la rareté des tournages et la faiblesse de l’offre maigre face à la demande des acteurs qui ont besoin de gagner leur vie peuvent pousser à accepter ces conditions. Face à la pression financière et à l’instabilité de son statut (« il y en a dix qui attendent après toi »), unE employéE est rarement en position de force devant unE employeurSE. De surcroît, les bases de la prévention et les risques associés à chaque pratique peuvent très bien ne pas être connus des acteurRICEs, compte tenu notamment des budgets moribonds alloués à la prévention du VIH/sida.

 Le second est hautement discriminatoire et inefficace : il s’agit de sélectionner les actrices et les acteurs en fonction de leur statut sérologique en demandant un test VIH (sérotriage). C’est ce qu’assume Stéphane Moussu (Clair Production) dans le dossier du magazine Têtu du mois de novembre 2005 intitulé Voyage au cœur du porno gay français : « j’ai refusé d’engager un modèle magnifique (il a fait deux jaquettes) le jour où je l’ai rencontré, car il n’avait pas son test. Il était hors de question pour moi de faire prendre un quelconque risque aux autres acteurs. Nous avons travaillé avec lui par la suite... et je peux toujours me regarder dans la glace. » Sauf qu’entre l’instant de la contamination et sa détectabilité par les tests, une période (fenêtre) de séroconversion de plusieurs semaines existe. Il est probable que l’acteur dont parle M. Moussu ait présenté un test négatif tout en étant séropositif, parce que ce test a été effectué au début de sa séroconversion. Dans ce cas, tous ses partenaires risquent également d’être contaminés. S’ils sont tchèques ou lettons, comme c’est souvent le cas chez Clair Production, parviendront-ils à assurer le prix d’un traitement à vie avec le cachet reçu ? On peut légitimement en douter. Avec l’usage du préservatif, touTEs les acteurRICEs peuvent se porter candidat, séropositifVEs comprisES.

La fenêtre de séroconversion n’est pas un concept médical désincarné, et concerne aussi la pornographie. Elle le fut hautement en 2004 aux Etats-Unis lors de la fameuse affaire californienne, où les deux sociétés de films pornos hétéros Evasive Angles et TTB Production ont été condamnées par le State Division of Occupational Safety and Health à verser 30 000 dollars d’amende.

Le magazine américain Weekly du 23 septembre 2005 rapporte que trois actrices et un acteur ayant eu des relations sexuelles non-protégées lors de tournages ont été diagnostiquéEs séropositifVEs.

Les dates sont ici particulièrement importantes. On sait qu’aux Etats-Unis, les actrices et les acteurs sont très régulièrement soumis à des tests de dépistage. L’acteur en question, Darren James, a été diagnostiqué négatif le 12 février 2004 ainsi que le 17 mars 2004, puis positif le 9 avril. Entre le 12 février et le 17 mars, il s’est rendu au Brésil pour y tourner plusieurs films sans préservatifs. Sur place, il a eu des symptômes de la grippe, qui ont disparu autour du 10 mars 2004, avant son retour en Californie. A son retour, l’acteur a tourné avec treize actrices : il y a été autorisé car son dernier test, datant du 17 mars, était négatif. Par la suite, trois de ces actrices ont été diagnostiquées séropositives, respectivement les 13 et 25 avril et le 5 mai. Celles dépistées les 13 et 25 avril ont tournées sans préservatifs avec l’acteur le 24 mars, la troisième le 30 mars. En date du 20 mai, Darren James a indiqué ne pas avoir eu de relations sexuelles en dehors des tournages depuis le 12 février.

Ainsi, suite à sa propre contamination très certainement au Brésil, les symptômes de la grippe révélant en fait une primo-infection, l’acteur a contaminé trois de ses partenaires, parce qu’il était séropositif en période d’incubation, bien que diagnostiqué séronégatif par le dernier test précédant les tournages. La période de non-détectabilité de l’infection était d’au moins 8 jours et d’au plus 50 jours.

Le dépistage comme prévention du sida auprès des acteurRICEs est donc non seulement discriminatoire mais inefficace, pouvant conduire, comme sur l’exemple américain, à la contamination de trois actrices et d’un acteur, chiffre qui aurait pu inclure les 10 autres actrices avec lesquelles l’acteur, a tourné sans préservatifs durant la deuxième quinzaine du mois de mars. Sans compter les acteurs avec lesquels ces 10 actrices ont pu tourner durant leur propre période d’incubation, et/ou leurs partenaires privéEs éventuelLEs.

Après cette affaire, les responsables de la santé du comté de Los Angeles ont écrit à 400 producteurRICEs et réalisateurRICEs pour demander que les actrices et acteurs utilisent systématiquement le préservatif. Mais l’industrie du X américaine n’a pas jugé bon de suivre ces recommandations. Elle a fait mieux : suite à l’annonce de la séropositivité de deux acteurs pornos, les 60 actrices ayant eu des rapports sexuels avec ces deux acteurs ont été mises en quarantaine et dépistées. Les résultats des tests ont révélés que trois actrices parmi les 60 étaient séropositives. Les cinq actrices et acteurs ont alors été congédiéEs et, le scandale retombé, les tournages, toujours sans préservatifs, ont repris comme si de rien n’était.