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décès

Un mois pour vivre libre et mourir

vendredi 1er octobre 2004

Nous savons touTEs que les détenuEs malades n’ont rien à faire en détention, Jean-Michel vient de mourir, il était malade du sida et coinfecté par l’hépatite C.

Jean-Michel nous avait contactéEs au printemps 1999 pour un gros problème de prescription médicale. Dans l’urgence, nous avions ameuté toutes les instances, médicales et judiciaires. Le 3 mai 1999 nous faisions un communiqué de presse « mourir pour une douche » où nous dénoncions ses conditions de détention. Jean-Michel s’était ouvert les veines pour que l’Administration pénitentiaire respecte la prescription médicale d’une douche quotidienne et pour que son régime sans graisse ni sel soit, lui aussi, respecté. Nous arriverons après quelques coups de gueule à faire en sorte que Jean-Michel reçoive les soins que les médecins avaient prescrits. Jean-Michel a voulu devenir membre d’Act Up et être considéré comme un militant. Ses témoignages sont précieux, son courage mérite le respect.

Il dénonçait tous les dysfonctionnements, ne laissant rien passer d’un point de vue médical ou pénitentiaire. De notre côté, nous demandions sa libération comme nous le faisons pour toute personne atteinte de pathologie grave. Malgré les nombreuses demandes de grâce médicale, de conditionnelle, rien ne bougera.

Dès 1999, Mme Viallet, alors directrice de l’Administration pénitentiaire était informée de sa situation, ainsi que l’IGAS. Mme Guigou, alors Garde des sceaux, ne jugera pas utile de transmettre sa demande de grâce médicale à l’Elysée. Mme Lebranchu qui lui succède ne fera pas mieux. Avant d’être auditionnée par l’Assemblée nationale pour le rapport « La France face à ses prisons », Act Up donnera la parole aux détenuEs qui le désirent. Jean-Michel nous enverra un témoignage accablant, touTEs les députéEs faisant partie de la commission d’enquête avaient la possibilité de lire ce témoignage, il faut croire qu’ils et elles ne l’ont pas lu.

La situation de Jean-Michel animera toujours notre colère. Nous n’irons pas à un seul rendez-vous sans évoquer la situation des détenuEs malades et son cas en particulier.

En 2001, il devra à nouveau se trancher les veines pour une nouvelle prescription non suivie, là encore personne ne bougera. Le temps passe, Jean-Michel se bat comme il peut. Avec l’aide d’autres associations il recevra un soutien important. Le 4 mars 2002, la loi sur le droit des malades est votée, l’occasion d’un nouvel espoir pour Jean-Michel il témoignera dans la presse (Nouvel Obs). Nouvelle déception : sa demande sera refusée, les Gardes des sceaux se succèdent, l’état des détenuEs malades se détériore. A son arrivée, M. Perben est saisi de son dossier. Jean-Michel entrevoit un espoir de sortie par une conditionnelle médicale, il veut venir travailler à Act Up. Il n’aura pas eu le temps de nous préciser les conditions de son travail à nos côtés, dès sa sortie de prison il séjournera à l’hôpital où il décèdera.

Au delà de notre vive émotion, notre colère ne s’amoindrit pas : dès le début, il nous avait demandé de le considérer comme un militant d’Act Up, ce que nous avons toujours fait, mais nous avons perdu plus qu’un militant. Tout au long de notre expérience avec Jean-Michel, aucunE interlocuteurRICE n’aura de réponse à nous opposer. Quand nous disons que les personnes atteintes de pathologies graves n’ont rien à faire en prison, nous savons ce que nous disons. Le gouvernement actuel a désormais le sang de Jean-Michel sur les mains. Act Up a perdu un de ses militants.

Lettre reçue à Act Up le 21 02 2000.


_ « Monsieur,

_ Suite à votre souhait de recevoir le témoignage de détenus, je vous écris pour vous envoyer le mien. J’essaierai d’être le plus clair possible et vous donnerai aussi mes ressentiments face à ce que je vis. Je suis atteint du SIDA dépisté depuis novembre 87. Egalement d’une hépatite C dépistée en 92 et d’une pancréatite depuis un an. Ces maladies, les traitements, l’alimentation et une mauvaise hygiène de vie due à l’incarcération font que je suis devenu un sujet à risque à un infarctus...

Condamné en septembre 97 à 15 ans de réclusion pour vol à mains armées, prise d’otages et tentative d’homicide sur les gendarmes. D’accord c’est grave, mais je n’ai ni tué ni blessé. Aux assises l’expert médecin a dit que je serai mort en fin 2000 (il y a des écrits) pourtant on m’a mis une peine où même la conditionnelle (pas obligatoire ...) arrive en 2001, il faut savoir que par définition les couloirs de la mort existent en FRANCE. Alors M. Lang il a beau jeu d’aller critiquer les américains chez eux. Car à quoi d’autre suis-je condamné sinon à mourir en prison après plusieurs années ?

Les conditions de détention sont déplorables pour les hommes en bonne santé, l’insalubrité, l’humidité, les rats sont notre lot quotidien. On ne fera pas d’un délinquant un citoyen en le traitant comme un chien. Ici on a aucun droit, et la justice le sait puisqu’elle couvre ça, considéré comme DPS [1] bien que ne l’étant pas officiellement, tout travail m’est interdit en maison d’arrêt, il me reste donc à rester en cellule, minimum 21h par jour, plus quand je ne peux pas sortir en promenade à cause de mes troubles intestinaux qui surviennent souvent, il n’y a pas de toilettes fermées en cour de promenade, le temps que vous appeliez et qu’ils arrivent.... je préfère rester en cellule !, il y a bien la salle de sport où je pourrais aller 2h par semaine mais je suis trop fatigué pour ça.

Je bénéficie d’une douche médicale, pourtant à plusieurs reprises des surveillants me l’ont refusé. Un que j’ai insulté après ce refus m’a mis un rapport d’incident sur lequel il reconnaît noir sur blanc m’avoir refusé la douche. Ce rapport m’a valu un passage au prétoire et 5 jours de mitard avec sursis, j’ai envoyé ce rapport au procureur de la république de Douai avec courrier pour porter plainte contre le surveillant pour m’avoir refusé la douche. Le procureur a classé l’affaire sans suite faute de preuve....pourtant il a dans les mains le rapport rempli et signé par le surveillant. Justice et administration pénitentiaire : complices !

Je dois bénéficier d’un régime alimentaire très strict pour pancréatite. Dès novembre 98 le Dr L. me faisait un certificat pour ce régime. Le directeur a dit qu’on n’assurait pas les régimes particuliers et que j’allais être transféré. (il faut savoir qu’à ce moment j’étais sous trithérapie avec un VIH indétectable depuis 18 mois). Seulement en décembre 98 mon pancréas était tellement chargé qu’on m’a arrêté la trithérapie avec conséquence directe de voir mon VIH revenir en force. Le régime devenait urgent, le Dr D. a refait un certificat qui a été pris en compte, d’un coup on a fait des régimes à Douai, alors qu’il n’y avait rien de plus qu’avant aux cuisines. Je m’en suis rendu compte car le régime 14 mois après n’a jamais été régulièrement observé. Mais pour faire semblant on me sert dans une barquette : l 13 cm ; L 11 cm, H 5 cm. On y met la viande et les légumes, et bien sûr c’est froid quand ça arrive chez moi, c’est surtout inaproprié au régime qui devrait être le mien....

Les médicaments me sont normalement distribués, là-dessus rien à dire, peut-être sur le fait que les sachets ne sont pas dissimulés, mais ça personnellement ne me dérange pas, je comprends que ça peut déranger certains, il faut y penser.

Par contre quand on dit qu’on a droit à être soigné comme dehors, c’est faux ! il suffit que je ne m’entende pas avec le docteur de la maison d’arrêt ou que je n’en sois pas satisfait, je ne peux pas changer contrairement aux gens libres. Il suffit comme ça m’est déjà arrivé qu’il faille que j’aille en urgence à l’hôpital et j’en ai pour une heure pour sortir de la prison (attente du SAMU, mais surtout l’escorte de police). Aujourd’hui si je reprends un traitement, je n’ai toujours pas retrouvé un VIH indétectable.

Pour accéder à l’infirmerie, il faut écrire pour s’inscrire au matin, si vous avez quelque chose dans la journée et devez voir le docteur en urgence cela dépend seulement du surveillant d’étage, à lui de juger si c’est urgent ou pas. Mais quelle formation a-t-il reçu pour en juger ? et même quand le surveillant est d’accord, le brigadier de quartier peut s’y opposer. Cela m’est arrivé lors d’une crise de colique néfrétique, et il a fallu que je me coupe les veines pour avoir accès à l’infirmerie. Ce jour là, après avoir pansé mes plaies, le Dr L. m’a mis sous perfusion pour soulagé mes coliques... cela prouve qu’il y avait urgence. J’ai actuellement porté plainte contre le brigadier Mr M., mais sûrement que le procureur de Douai classera l’affaire sans suite faute de preuve !...

Il est difficile de se faire entendre en prison, et si vous ne vous laissez pas faire on vous classe « dangereux », on vous persécute de 1 000 façons. Rien que quelques exemples : marquer des injures sur votre porte. Vous donner des grâces et vous en reprendre 6 mois plus tard sans motif si ce n’est de s’être trompé 6 mois plus tôt. Vous faire croire à vous et votre famille que vous allez être bientôt rapproché du lieu familial, mais 18 mois après vous êtes toujours là... vous tenir éloigné du lieu familial en espérant qu’avec le temps votre famille vous laissera tomber. Vous faire passer pour quelqu’un qui veut s’évader : suspicion d’isolement égale isolement. Vous menacer de vous faire repasser au tribunal, en sachant que si c’est leur but, il leur est facile de vous faire « péter un plomb ». L’entente de faux témoignages entre surveillants et même certains médecins pour donner tort au détenu ; ça je l’ai vécu personnellement. J’ai vu des détenus se faire frapper ou insulter par des surveillants, plus d’une fois ils dépassent les limites de leurs fonctions et celles du droit. Car la loi et les règlements, c’est toujours les plus faibles qui les subissent...

J’ai vu à Fresnes un AVEUGLE pousser un handicapé dans un fauteuil roulant, et l’handicapé guidait l’équipage... c’était en 1997, quels dangers ces deux hommes pouvaient bien représenter pour la société ? ?

Monsieur j’ai appris ma séropositivité en 87 lors d’une précédente incarcération, j’en suis sorti en 91, avec toute la haine que la société m’avait inculqué via l’administration pénitentiaire, j’en suis arrivé à des délits extrêmes : braquage de banque, en sachant que compte tenu de la façon dont on m’avait traité en prison à l’époque, je ne voulais plus être arrêté coûte que coûte. Pour cela j’ai pris des otages et tiré sur la police. Malheureusement je suis encore incarcéré, mais aujourd’hui encore plein de haine, on ne règle pas les problèmes en déshumanisant les gens, en les traitant comme du bétail... il paraît qu’une société a les criminels qu’elle mérite... Rien n’est fait pour réinsérer le détenu, au contraire, en prison on vous désocialise, on vous crédulise !

Les assistantes sociales se foutent carrément des détenus, elles ne font pas leur boulot, il n’y a absolument RIEN de fait pour responsabiliser et réadapter le détenu, rien d’autre que des jolis discours à la télévision, mais dans les faits ? quand bien même une assistante sociale serait pleine de bonne volonté, elle n’aurait que ça !....

Bref, en prison on est loin de se croire en l’an 2000, on ne pense pas être incarcéré au pays des droits de l’hommes, c’est un autre monde où même les droits les plus élémentaires sont bafoués. Un monde tellement dur et sans règle !...

Monsieur, j’espère que mon témoignage vous servira et vous satisfera. Si vous avez des questions précises, je suis prêt à vous répondre. Nous vous remercions de vous intéresser à nous. Je vous prie de croire monsieur en mes salutations les meilleures.

_ PS : dernier détail, après 69 mois en maison d’arrêt, je suis enfin prévu pour la centrale de Poissy que je devrai rejoindre avant l’été. Encore de l’humanité de la part de la “ justice ” : si j’avais été affecté sur un autre CD (centre de détention) j’aurais pu bénéficier de permissions dès mon arrivée, en effet, en CD les permissions sont possibles au tiers de peine. Alors qu’en centrale, il faut qu’il vous reste moins de trois ans à faire pour prétendre aux permissions, je devrai donc attendre encore trois ans avec les remises de peines. Cette affectation est une façon de faire comprendre aux détenus qu’il faut subir et se taire, même si vous avez le droit pour vous. Ils s’arrangent pour vous faire payer le fait de vous rebeller, mais alors elle est où la solution pour nous ? »


[1détenuE particuliérement signaléE