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Témoignages

Combien coûtent nos vies ?

mercredi 1er décembre 2004

Quatre séropositifs/malades du sida témoignent de leur situation : l’histoire de la maladie, la répercussion sur leur travail, leur vie quotidienne, les difficultés d’accès à des revenus suffisants, les problèmes de reconnaissance par leur médecin de tous les aspects de la pathologie, etc.

Militants d’Act Up ou usagers de notre permanence sociale et juridique, leur parcours respectif témoigne des lourds dysfonctionnements du système de prise en charge de la maladie et du handicap, et légitime pleinement la question que nous posons publiquement pour le 1er décembre : combien coûtent nos vies ?
A cette lecture, on a vite le sentiment que la vie d’unE malade relève du parcours du/de la combattantE, et que l’interaction entre l’infection, les effets secondaires des traitements, la situation sociale et la prise en charge médicale est plus lourde de conséquences que jamais. Si nous publions ces témoignages, ce n’est pas pour entretenir un sentiment de fatalité consternée et compatissante, mais bien parce que ces parcours témoignent d’une manière ou d’une autre, d’une logique d’empowerment qui est aux fondements d’Act Up. Seules ou avec nous, ces personnes se battent, d’une manière ou d’une autre, pour leur propre situation et pour celle des autres, se réapproprient des informations mal diffusées par les institutions et ne lâchent pas prise devant les aberrations administratives.

 DOMINIQUE :
« Je connais ma séropositivité depuis mai 1987, je suis passé en stade sida début 1995, suite à un surmenage au travail. En 1995, j’ai obtenu ma carte d’invalidité à 80 %, du premier coup, et diverses prestations dont l’AAH et l’ACTP. Grâce à ces allocations, j’ai une personne qui m’aide dans les tâches de la vie quotidienne, ce qui est appréciable quand on travaille. Je ne pourrais pas m’en passer. En 1998, je me suis remis à travailler et l’AAH a été suspendue. Je passe actuellement par de petites périodes d’arrêt maladie. Pour moi, ne pas travailler, c’est psychologiquement ne pas aller bien, c’est une forme de désocialisation, bref il faut que je travaille, c’est impératif.
Aujourd’hui, je suis en voie d’expulsion de mon logement. Je n’arrive pas à résoudre ces problèmes car les structures sociales se renvoient la balle. Avec Act Up, j’ai déposé une demande de FSL, j’ai fait une demande de relogement social par l’intermédiaire de la PILS. J’ai actuellement un logement dans le privé pour lequel je ne peux plus payer le loyer depuis juin. Suite à une longue période de maladie, je me suis retrouvé à mi-traitement sans aide complémentaire. De plus j’avais pris cet appartement avec une personne qui est partie du jour au lendemain en me laissant les charges à payer. Mes ressources mensuelles avoisinent les 1 000 euros. Cette somme est trop juste pour payer mon loyer (743 euros avec les charges), mais trop importante, selon certaines structures sociales, pour me permettre de bénéficier d’aides complémentaires. C’est en venant à Act Up que j’ai appris l’existence de ressources complémentaires comme le FSL. Ce qui me convient à Act Up, c’est que j’y apprends quelque chose, ce n’est pas moi qui enseigne à mon interlocuteur les bases indispensables pour la prise en charge des malades, ce que j’ai toujours trouvé aberrant dans certaines structures où les malades sont mal orientéEs, souvent par ignorance.
En plus de mon demi-traitement, je perçois donc l’ACTP (450 euros) pour compenser les frais engagés pour payer la personne qui m’aide dans les tâches de la vie quotidienne. J’avais l’AAH, dont je suis privé depuis mon retour à l’emploi. Actuellement, on ne m’envoie même plus de déclarations de ressources, comme si celles-ci ne pouvaient plus évoluer. En 1998, quand la CAF m’a annoncé que je ne pouvais plus prétendre à l’AAH, j’ai fait valoir la neutralisation de ressources [1]. On m’a ri au nez et refusé cette possibilité, alors même que le médiateur de la CNAF, que j’ai dû appeler, la confirmait.
Moralement, je me sens vidé, pas forcément à cause du VIH, mais le virus est le fil directeur de tous ces problèmes qui se greffent les uns sur les autres, qui seraient anodins chez une personne en bonne santé, mais qui prennent une proportion énorme chez quelqu’un déjà fragilisé. Cela fait 17 ans que j’ai le virus, que je m’estime en survie, que je dois me battre toujours plus pour avoir un semblant d’existence. Je suis par ailleurs victime de discriminations liées à ma pathologie. Mes lipoatrophies marquent fortement mon visage et je fais un travail où l’apparence est très importante, et les préjugés vite posés. Je suis conducteur pour l’Administration, j’ai conduit des personnalités par le passé, mais depuis que mon physique a changé, je sens bien des barrières dans l’évolution de ma carrière. L’absence de prise en charge des produits de comblement m’oblige donc actuellement à me contenter de cette situation : on ne me fait pas des remarques directes et insultantes, mais on me fait comprendre que mon apparence ne me permet pas de prétendre à certains postes.
Il a fallu que j’aille à Act Up pour être informé de la prise en charge du New Fill. Mais je suis allé à reculons au premier rendez-vous, car cette lipoatrophie s’est faite sur le long terme (sur 7 ans) et j’ai appris à m’y faire, à ne plus tenir compte du regard des autres, même si cela reste blessant. Or, le New Fill est efficace et rapide. J’ai mis 7 ans à me faire à mon visage, et on me propose un nouveau visage en trois mois, ça me pose un problème psychologique.
Je dors de plus en plus mal, je m’alimente de plus en plus irrégulièrement, la menace d’une expulsion et l’absence d’une solution par les services sociaux font que je ne peux pas gérer mes problèmes et mes thérapies correctement. Pour prendre ses traitements, il faut être clair dans sa tête, ne pas avoir de problèmes. Donc, mes médicaments, je les prends quand j’y pense. Résultat : ma charge virale est redevenue détectable et je tourne autour de 60-70 T4. Mes marqueurs, notamment hépatiques, sont en éveil. Je souffre de vertiges, de crampes, de nausées, particulièrement marqués depuis le début de mes problèmes sociaux.
Actuellement, je suis en arrêt maladie, je voudrais reprendre le travail, mais cela m’est impossible. Mon employeur est au courant de ma séropositivité, je suis entré dans l’Administration en 1990. En 1991, j’ai cumulé des problèmes personnels. J’ai pété les plombs au travail, j’ai été convoqué par l’employeur, je lui ai parlé de tous mes problèmes, y compris de ma séropositvité. Cela a eu pour conséquence que l’on m’a ménagé, jusqu’en 1994. Puis au dernier trimestre, il y a eu une session parlementaire où j’ai eu une charge de travail particulièrement épuisante, j’ai dû cumuler près de 200 heures supplémentaires sur le mois. Cela m’a laissé sur le carreau juste avant Noël. J’ai été hospitalisé en urgence, on a suspecté une encéphalite.
Mon employeur a-t-il zappé volontairement ou non le fait que j’étais séropositif ? »

 DAVID :
« J’ai découvert ma séropositivité en 93. J’ai demandé une reconnaissance COTOREP qui m’a été refusée 4 fois. Je suis indétectable depuis 7 ans, je n’ai jamais eu d’infections opportunistes. Mon état de santé est donc resté stable, à part une lipoatrophie qui me creuse le visage et des neuropathies extrêmement douloureuses, notamment dans les jambes. La prise de médicament est un peu difficile à gérer (trithérapie en deux fois), mais j’y arrive, ce qui me permet d’éviter les résistances. Les effets secondaires arrivent régulièrement. Je ressors par exemple d’une diarrhée qui a duré 8 jours ; je suis parfois incontinent. Quand je porte des charges lourdes (par exemple des courses) ou que je monte des escaliers, je sens particulièrement les neuropathies.
En ce moment, je vis avec les ASSEDIC (750 euros par mois). La COTOREP m’a expliqué que ma maladie n’évoluant pas, j’étais capable de travailler. Mon certificat médical n’a jamais été correctement rempli. Ce n’est qu’à la troisième demande que mon médecin traitant a indiqué correctement les effets secondaires dont je souffrais. Il n’était pas particulièrement favorable à ce que j’obtienne l’AAH. Donc, quand j’ai revu le médecin de la COTOREP, elle m’a dit après cinq minutes d’entretien que c’était refusé. Je me pensais capable de travailler, mais je me sens extrêmement fatigué par ma trithérapie. Quand je travaillais, je me mettais souvent en arrêt maladie à cause des effets secondaires.
Je suis venu à Act Up malgré ce que m’a dit mon médecin. Il m’avait déconseillé de rejoindre une association sous prétexte que ce ne serait pas bon pour mon moral. Mais je me suis rendu compte que les associations étaient les seules à pouvoir m’aider. Je suis venu à Act Up la première fois à la permanence juridique pour un dossier de surendettement. J’avais trouvé un emploi dans la sécurité, j’avais payé moi-même ma formation, en prenant un crédit, j’ai été employé en CDI. Au bout de deux ans, mon patron a su que j’étais séropositif. Il m’a forcé à partir, c’était en 1999. Il m’a fait signer un protocole d’accord comme quoi il me licenciait pour faute grave. Je ne pouvais plus rembourser mes crédits, ce qui m’a conduit au surendettement.
Travailler avec le VIH n’est pas évident. J’ai eu des pertes de mémoire dans mon travail, ce qui m’a empêché de travailler correctement. Le stress et la fatigue ont déclenché une crise d’épilepsie dans un supermarché, sans raison apparente car je ne me sentais pas mal deux minutes avant. Je me suis retrouvé à l’hôpital pendant un mois.
Mon médecin VIH m’a dit que cela n’avait rien à voir avec ma sérologie, mais uniquement à voir avec la fatigue et le stress. »

 PATRICE :
« Je suis en AAH et carte d’invalidité à 80 % depuis quelques années. Je dois repasser régulièrement les « examens » de la COTOREP. J’aimerais avoir l’ACTP, j’ai besoin de plus d’argent. Suite au décès de Christine, ma compagne, je consulte un psy, ce qui m’a poussé à prendre une complémentaire dont le montant est important (68 euros par mois, très important pour un budget AAH). J’ai aussi besoin de soins dentaires.
J’ai fait renouveler mon dossier AAH par le biais d’Act Up, car c’est la seule garantie que les dossiers ne se perdent pas et qu’ils soient traités dans des délais acceptables. J’ai renouvelé aussi ma carte d’invalidité à 80 %. Ma demande d’ACTP est motivée par le décès de ma compagne, qui est morte alors que ses bilans sanguins étaient bons, ce qui m’effraie, en plus du deuil à porter. Je continue à prendre mon traitement, mais je ne vois plus l’utilité d’aller faire une charge virale et un bilan sanguin, après ce qui est arrivé à Christine. Après sa mort, je suis allé dans le réseau ESPAS consulter une aide psychologique. Mais parce que je dispose d’une AAH, ils m’ont réorienté vers un psy du secteur privé, ce qui revient à 70 euros minimum. J’ai fait remplir le dossier ACTP par le psy. J’ai dû y revenir à deux fois car le médecin s’est trompé de cases... Il a donc fallu être vigilant. Ce que je n’avais pas été en sortant de chez le médecin, car, déprimé comme je l’étais, je n’ai pas fait attention. C’est un ami qui, en relisant le certificat, m’a alerté.
Actuellement, je prends mes traitements de façon très irrégulière. Je dors très mal la nuit, je fais des cauchemars, ce qui perturbe mes prises horaires. Ce qui est arrivé à Christine (encéphalopathie alors que la charge virale était indétectable) montre bien que notre avenir n’est pas très rose. Les critères qui signalent le stade sida ne me semblent plus adaptés. »

 THIERRY :
« Séropositif depuis 1993, j’ai fait une pneumocystose en 1994. J’avais vu plusieurs médecins qui avaient diagnostiqué pendant deux mois angine, bronchite, angine blanche... jusqu’à ce qu’on se rende compte enfin de ce que j’avais. J’ai été hospitalisé trois semaines à la Salpétrière, j’ai commencé un traitement AZT-ddI. Je fais régulièrement des candidoses. Aujourd’hui j’ai 20 T4 et une charge virale de 600 000 copies. Je suis en échappement thérapeutique depuis 97. Les T4 avaient remonté grâce au Crixivan en mai 96, mais ça n’a pas duré : dès janvier 97 j’étais en échappement. J’ai essayé toutes les combinaisons imaginables qui m’ont valu pas mal d’effets secondaires : diarrhées, lipodystrophies, insomnies, impuissance, perte de poids, etc., tous ces trucs « classiques » qui pourrissent la vie.
J’ai travaillé chez France Télécom jusqu’au 31 août 1999, où l’on m’a proposé un CDI. J’ai refusé car j’étais incapable de travailler. J’ai fait un dossier AAH, avec le Dr P. J’ai eu une réponse favorable au bout de trois mois. J’ai donc reçu l’AAH à partir de décembre 99. En juillet 2000, suite à une déclaration de mes ressources, la CAF m’a privé de mon AAH. Je pensais avoir résolu le problème en téléphonant, mais le mois suivant, la suppression de l’AAH était confirmée, et en plus, on me demandait de rembourser ce qu’on m’avait versé en 2000.
Mes ressources étaient constituées d’indemnités journalières que je touchais au titre de l’ALD. J’ai dû écrire un courrier avec l’aide d’une amie et j’ai rendu visite à la CAF. Ces démarches m’ont permis de faire valoir mes droits : je rentrais en effet dans le cadre de la neutralisation des ressources. Or, mon premier contact à la CAF n’était pas au courant de cette disposition, il a fallu qu’un responsable se déplace pour lui confirmer que, depuis une circulaire de 1994, les Indemnités journalières (IJ) au titre de l’ALD ne doivent pas être prises en compte.
Grâce à ces démarches j’ai perçu l’AAH pendant 2 ans et demi. Au bout de deux ans, j’ai été contrôlé par un médecin expert de la Sécu qui voulait me passer de l’arrêt maladie à l’invalidité, situation qui m’aurait été beaucoup moins favorable. J’ai contesté cette décision et là encore j’ai eu gain de cause.
Je pensais retravailler. Je me suis inscrit au chômage, arrêtant AAH et IJ. Je me sentais capable de travailler à domicile. Cela s’est avéré un peu trop compliqué. J’ai donc abandonné ce projet. Mon état de santé se dégradant, j’ai voulu reprendre l’AAH et me remettre en arrêt maladie. C’est en décembre 2003 que je suis venu à Act Up - la CAF m’avait signalé que je n’avais droit à rien, car je déclarais 10 000 euros de chômage sur l’année !!! Or, là encore, ils avaient pris en compte des IJ qui auraient dû être neutralisées. Avec Act Up, on a donc fait une neutralisation de ressources pour 10 000 euros, ce qui m’a permis de toucher l’AAH et le complément à taux plein, ainsi qu’une allocation logement.
Début janvier 2004, soutenu par Act Up j’ai fait une demande d’ACTP. J’ai eu la réponse au bout de 6 mois : c’était un refus. Mon état de santé ne le justifiait soi-disant pas. Le dossier médical rempli par le Dr T à Garches était plutôt léger. J’ai donc refait un nouveau dossier avec mon médecin traitant de ville, qui avait rempli mon dossier AAH et qui a mieux fait le certificat médical ; il a fallu faire une expertise psychiatrique complémentaire. Le dossier a été envoyé il y a un mois et demi et je n’ai toujours aucune réponse. Dans mon premier dossier ACTP, des effets secondaires ainsi que des symptômes de la maladie ne figuraient pas, notamment lipoatrophies.
A propos de ces dernières, mon médecin hospitalier me dit qu’aller voir un diététicien suffira à aller mieux. J’ai évoqué avec lui le New Fill, sans aucune réponse ou suggestion d’orientation de sa part. J’ai été informé des possibilités de prise en charge du New Fill par Act Up. Ce produit a vraiment changé ma vie. »


[1Possibilité de ne pas prendre en compte certaines ressources dans le calcul des revenus qui conditionne l’allocation ou le montant d’une prestation. C’est le cas des indemnités journalières que des personnes en affection longue durée perçoivent lorsqu’elles sont en arrêt maladie.