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Courrier du cœur

vendredi 1er avril 2005

Le 1er mars dernier, une lettre ouverte rédigée par Human Right Watch et cosignée par plusieurs centaines d’ONG, dont Act Up-Paris, a été envoyée aux déléguéEs de la 18ème session de la Commision sur les Drogues Narcotiques (CND, afin de les alerter sur le revirement de l’Office des Nations-Unis contre la drogue et le crime qui, sous la pression des États-Unis, va retirer son soutien aux stratégies de réduction de risques vers les usagèrEss de drogues alors que ces stratégies ont démontré leur efficacité pour prévenir les contaminations par le VIH.

En cette année où l’UNODC (Office des Nations Unies contre la drogue et le crime) préside l’exécutif du programme joint des Nations Unies sur le VIH/Sida (ONUSIDA), nous tenons à manifester notre inquiétude quant aux efforts que font les Etats-Unis afin de contraindre l’UNODC à retirer son soutien aux échanges de seringues, à la fourniture de méthadone, ou à d’autres mesures ayant prouvé leur efficacité pour contenir la diffusion du VIH chez les usagers de drogue. L’usage de drogue par injection s’avère être la cause de la majorité des contaminations par le VIH dans des douzaines de pays en Asie, ou dans l’Ex Union Soviétique, dont la Russie, la Chine, tous les pays d’Asie centrale, et la plupart de l’Asie du Sud-Est. Dans la plupart des pays hors Afrique, les nouvelles contaminations concernent aujourd’hui principalement les usagers de drogues par voie intraveineuse. Comme le directeur de l’UNODC Antonio Maria Costa le faisait remarquer lors de la Conférence internationale de Juillet 2004, une réponse efficace à l’épidémie de Sida due aux injections requiert une prévention accrue, incluant l’échange de seringues, plutôt que des politiques qui ne font qu’accélérer la diffusion du VIH par des emprisonnement massifs et aveugles.

Malheureusement, les événements récents suggèrent que l’UNODC -sous la pression des Etats-Unis- soit appelé à retirer son soutien à des stratégies préventives ayant fait leurs preuves, précisément au moment où le besoin d’un engagement accru en échange de seringues et en traitement de substitution aux opiacées se fait sentir. Il est particulièrement préoccupant que l’UNODC soit silencieuse l’année où l’agence préside le Comité des organisations sponsors de l’ONUSIDA, et l’année où le débat thématique des 48èmes rencontres du CND doivt mettre l’accent sur la prévention du VIH. Parmi d’autres éléments qui ont grandement provoqué notre inquiétude, se trouvent :

 M. Costa, qui avait l’année passée exprimé son soutien à des changements positifs du code pénal russe, à l’extension de l’échange de seringues dans les pays confrontés à des épidémies dues aux injections, et à d’autres mesures de réduction des risques liés à la drogue, a visiblement été influencé par le Département d’Etat américain. Suite à une rencontre avec Robert Charles, le Secrétaire adjoint aux Affaires relatives aux narcotiques internationaux et à l’exécution de la Loi, M. Costa se mit à plaider pour une révision de tous les documents UNODC, électroniques ou imprimés, faisant référence à la « réduction des risques », et prit le parti d’être « encore plus vigilant à l’avenir ».

 En Asie du Sud-Est, UNODC a suspendu un programme qui visait à réduire la vulnérabilité au VIH des usagers de drogue à travers des approches qui privilégiaient la santé publique et les Droits de l’Homme pour les usagers de drogue, plutôt q’une politique de sanction.

 Même l’échange de seringues, affiché par l’ONUSIDA, l’OMS, et les membres des Nations Unies, comme une partie essentielle et efficace de la prévention du VIH, est devenu « politiquement incorrect ». Un e-mail émanant d’un senior de l’UNODC et destiné à un junior, demandait à ce dernier de « s’assurer que les références à la réduction des risques, et à l’échange de seringues sont bien évitées dans les documents, publications et positions de l’UNODC ».

Nous avons conscience que l’UNODC est dépendante des contributions des nations donatrices, et que les Etats-Unis sont les plus grands donateurs pour le contrôle des drogues des Nations Unies. En même temps, la vie de centaines de milliers de personnes dépend d’une approche raisonnée et scientifique de la prévention du VIH. De nombreuses études, dont certaines émanant du gouvernement américain lui-même, ont montré que les stratégies telles que l’échange de seringues et la distribution de méthadone diminuaient manifestement la transmission du VIH et les autres risques sanitaires. Le simple fait que les délégués américains déclarent ces preuves en faveur de l’échange de seringues « non convaincantes », ainsi qu’ils le firent l’année dernière lors d’une session du CND, ne devraient pas permettre de déterminer la politique de contrôle des drogues de l’ONU, et les efforts de prévention du VIH, qui sont inextricablement et intrinsèquement liées. De même, l’UNODC ,un co-sponsor de l’ONUSIDA, et, qui plus est, une agence avec un rôle essentiel à jouer sur le front de la lutte contre le VIH, ne devrait pas davantage se voir demander de revenir sur ses positions publiques quant à l’échange de seringues, pour la seule raison que celles-ci ne conviennent pas à ce que les Etats-Unis estiment acceptable.

Les stratégies qui se contentent de viser à l’arrêt de la consommation de drogue ne constituent pas une alternative acceptable aux programmes tels que l’échange de seringues, qui aident, eux, les consommateurs actifs à se protéger du VIH/Sida. L’expérience prouve que la « tolérance zéro » en matière de contrôle des drogues peut surtout avoir pour effet de conduire les consommateurs à la clandestinité, de les éloigner des traitements anti-drogue et des autres services de santé. Ceci est particulièrement vrai, quand, comme c’est le cas dans beaucoup de pays, les mesures anti-drogue entraînent des arrestations injustifiées, des actes de violence et des extorsions de la part de la police, des détentions prolongées sans jugement, des traitements anti-drogue contraints, des incarcérations disproportionnées dans de cruelles conditions, et dans certains cas, des exécutions extra-judiciaires. Les programmes comme l’échange de seringues et les substituts aux opiacés, à l’inverse, permettent à la fois de prévenir la transmission du VIH, et de bâtir une passerelle avec les autres services de santé. Restreindre ces programmes correspond à une violation criante du Droit de l’Homme à la Santé pour les consommateurs de drogue.

Lorsque vous vous rassemblerez cette année pour débattre de prévention du VIH/Sida et de l’abus de drogue, nous vous prions de bien vouloir soutenir l’échange de seringues, les produits de substitution, et les autres méthodes de réduction des risques ayant prouvé leur efficacité dans la lutte contre le VIH ; d’affirmer le droit humain des usagers de drogue à la Santé et aux services de soins ; et de rejeter les efforts visant à supplanter la science, et à lier les mains de ceux qui travaillent sur le front de la lutte contre le VIH. Rien de moins que l’avenir de l’épidémie de VIH est ici en jeu.