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en finir avec Dustan

répondre à Dustan...

vendredi 30 novembre 2001, par Didier Lestrade

Depuis plus d’un an, un débat sourd a lieu à Act Up : comment répondre à Dustan. Ecrire cette phrase, en soi, est le constat d’une tristesse. En général, Act Up n’hésite pas. Act Up répond tout de suite ou, en tout cas, le plus vite possible. C’est notre habitude.

Pour Dustan, l’idée a toujours été ambigüe et c’est pourquoi j’ai toujours fait un parallèle, facile c’est vrai, entre Dustan et Le Pen. Quand on parle de ces deux– là, on leur fait toujours de la pub. Mais, pour être franc, c’est quelque chose qu’Act Up connaît bien aussi : on a toujours pensé qu’il n’y avait pas de mauvaise publicité à Act Up. J’expliquerai plus loin en quoi l’idée diffère chez Act Up et Dustan.

Or, pendant de longs mois, Act Up n’a rien écrit sur Dustan. Il y a eu des prises de position et des commentaires à la radio, des interventions publiques à la télé, quelques allusions dans des tracts et des affiches. Mais à Act Up, rien n’est dit tant que ce n’est pas écrit. Je veux dire, un vrai texte. Cela a longtemps été la force de cette association. Quand, dans d’autres groupes, on n’a pas le temps ou le courage politique de le faire, à Act Up il y a toujours quelqu’un qui a la hargne, qui se met devant don ordinateur parce qu’il faut que ça sorte. Mais sur Dustan, rien. Pas la moindre analyse politique, littéraire ou sentimentale. Nous avons laissé pourrir la situation alors que notre rôle de surveillance, qui a toujours été l’essence même du groupe, n’a pas fonctionné. Il faudra analyser pendant longtemps pourquoi une chose pareille a pu se produire.

Aujourd’hui, des mots sont alignés. Des textes sont diffusés. Des discussions ont lieu. Il y a des avis différents, comme toujours à Act Up. Voici le mien, enfin, une partie.

Tout le monde connaît la haine qui nous anime l’un envers l’autre. C’est une haine fondamentale, une des plus puissantes que j’ai pu ressentir pendant mes douze ans à l’intérieur d’Act Up. Et c’est pourquoi tous mes amis, qui m’ont dit à un moment ou un autre « Didier, laisse tomber, ça ne sert à rien », tous ces amis donc, se trompent. Je le sais, je le sens en moi comme une évidence, une de ces trois ou quatre évidences que vous sentez dans votre vie. Je peux rire de cette haine, je sais que c’est un élément ironique comme tout ou presque peut l’être. Je sais aussi que je ne me bats pas à Act Up par un sentiment de haine (bien que ça aide) mais sincèrement parce que j’essaye de faire bouger les choses. Des fois, on sait qu’on va vers un mur et des fois on sait que le succès est possible. Dans ce cas pourtant très complexe, je sais que nous avons une possibilité de succès. Ça prendra juste du temps, comme beaucoup de choses à Act Up.

Je pourrais dire beaucoup de choses sur Dustan, je commence même à radoter énormément sur le sujet, on le sait. Mais, en réfléchissant bien, j’ai compris le point qui me révolte le plus chez lui. Il ment. Depuis des années, nous nous sommes battus contre le secret administratif et médical, contre la mauvaise foi, contre l’inaction, contre le déni, contre la déformation, contre la discrimination. Mais il y a quelque chose qu’Act Up ne peut accepter, en aucun cas : le mensonge. Car ce mensonge vient d’un écrivain homosexuel séropositif juif. C’est parce qu’il est homosexuel que Dustan peut dire des choses qui mènent les homosexuels à leur perte. C’est parce qu’il est séropositif que Dustan se permet de dire des choses qui vont à l’encontre du travail des associations et du respect des personnes touchées. C’est parce qu’il est juif que Dustan dit des choses sur l’Holocauste que Le Pen lui-même n’ose plus dire. C’est enfin parce qu’il est écrivain que les propos de Dustan se vendent. Mais les médias n’ont pas encore osé écrire cela.
De toute l’histoire récente des écrivains gays français, Dustan est le seul qui ment sciemment. On peut ne pas être d’accord avec les écrits un peu dépassés et révolutionnaires d’Hocquenghen. On peut se demander si Frank Arnal a fait tout ce qu’il pouvait contre le sida. On peut se demander comment Renaud Camus s’est empêtré dans cette histoire sur les juifs. Surtout, on peut se demander si Frédéric Martel n’a pas arrangé la sauce historique à son goût. Mais mon point, c’est que toutes ces personnes avaient une base homosexuelle en France et surtout elles n’ont pas entamé un travail de sape de la sexualité gay de leur temps. Peut être que ces personnes ne sont pas allées au bout de leur courage. Par exemple, on ne sait pas exactement ce que pense Renaud Camus du sida. Un autre exemple : Martel n’oserait pas dire le fond de sa pensée sur la sexualité des gays. On peut donc remercier Dustan d’être allé à la limite de son concept et de dire ce que les autres pensent, ce qui est d’ailleurs l’argument premier des gens qui le défendent. Le seul truc, et c’est là où vous devez faire confiance à mon sens du discernement, c’est que je sais que Dustan ne pense pas ce qu’il écrit. Il ment tout le temps. Il ment comme les journalistes mentent quand ils disent qu’un film est bon alors qu’ils savent qu’il est nul. Il ment comme les politiques quand ils défendent l’intérêt du pétrole quand nous avons le vent et le soleil pour faire tourner les machines. Il ment comme les télés qui encouragent des gens parce qu’ils justifient leur propre cynisme publicitaire. Ces mensonges — là, nous y sommes habitués même s’ils continuent à nous choquer. Mais un homosexuel qui ment à d’autres homosexuels, c’est un fait complètement nouveau. Car là, il ne s’agit pas de mentir en disant « ce blouson te va très bien » alors que vous donnez l’impression de sortir de la boutique Sweet Man. C’est un mensonge qui touche à la base même de ce que nous sommes : la sexualité. Et, dans l’histoire de notre mouvement, pas un seul porte-parole n’a, pour l’instant, tiré une part de succès dans le mensonge qu’il apportait à la société sur le sujet de notre sexualité.

Vous me direz, pourquoi un homosexuel ne pourrait pas faire ce que les autres font ? Est-ce que la modernité de Dustan ne réside pas, précisément, dans son côté warholien, basé sur le fait que rien n’est vrai, que tout est factice, tout est de « l’entertainment » ? Ben oui, je sais, c’est précisément pour ça que certains médias malins l’adorent, il est tellement pop. Mais cette pop là, on commence vraiment à en voir les limites. Et surtout, il est temps de vous le dire : ce n’est pas du politiquement correct, à un moment précis où une épidémie repart de plus belle (et nous sommes tous d’accord sur ce point), il n’est pas possible de se cacher sous un camouflage artistique pour détruire la vie des gens. Je sais qu’à notre époque, dire que quelqu’un ment est puéril. Regardez cet article dans Libération, le 6 septembre dernier, sur la nouvelle Bible (Bayard). Les mots « péché » et « méchant » ont quasiment disparu de la nouvelle traduction, ce qui veut dire que ces termes, pourtant basiques dans la religion, sont considérés dorénavant comme un peu dépassés. Le mensonge fait donc implicitement partie de notre civilisation et c’est d’ailleurs ce qui est, souvent, à la base des séries télé les plus comiques. On avait pensé, comme des enfants, que le sida devait être un peu à part parce que nous considérons que c’est un des phénomènes les plus importants de la fin du XXème siècle, un truc tellement énorme qu’il a modifié la sexualité dans son ensemble.

Maintenant, Dustan et beaucoup d’autres nous disent que le sida n’est pas plus important que le dernier livre de Houellebecq (traduisez : une merde de plus qu’il faut subir là, devant nous). C’est ce qui nous confronte tellement parce que nous avons passé des années de nos vies à combattre une maladie que nous pensions essentielle. Dustan ment quand il dit que nous allons tous mourir, que cela justifie un comportement suicidaire. Attendez, je fais partie des premiers qui ont pensé qu’ils allaient mourir. Mais je suis bien obligé de réaliser, comme d’autres, que peut-être, je ne vais pas mourir. Tout de suite. J’ai encore quelques années d’engagement devant moi, quelques années pendant lesquelles je devrai rester fidèle à mes engagements. Je ne peux donc pas penser que « après moi le déluge » peut être une option. Dustan ment quand il dit que la capote ne protège pas du sida alors que nous sommes entourés de milliers de gays qui peuvent témoigner qu’ils sont encore séronégatifs car ils se sont protégés. Dustan ment quand il dit que c’est glorieux de détruire alors que nous disons le contraire et que notre travail, c’est de protéger et de construire, jour après jour, des petits édifices de militantisme qui font que les gens peuvent vivre mieux avec ou sans leurs médicaments, avec ou sans des lipoatrophies du visage. Dustan ment quand il dit que c’est cool d’être désespéré alors que nous, Act Up, nous nous sommes battus (à sa place) pour qu’il puisse jouir des pilules qu’il avale tous les jours. Ne vous faites pas avoir : Dustan a une dette envers nous. Nous n’en avons pas envers lui.

Et c’est là où le principe du « there is no such thing as bad publicity » est différent entre Act Up et Dustan. Act Up utilise la pub, bonne ou mauvaise, pour aider concrètement les séropos et les malades, je veux dire, nous couvrons le spectre entier de leurs problèmes. Dustan utilise la pub à son propre bénéfice, pour vendre des livres misérables. Et le pire, c’est qu’il les vend au détriment de la santé de ceux qui les lisent parce qu’ils se disent « tiens, c’est plutôt tentant ce truc là » et deviennent séropos le mois suivant. Vous croyez vraiment que Dustan se chargera du service après-vente de ces séropos ? Non, ces séropos, ils viendront, les larmes dans les yeux, la colère au ventre, vers Act Up et vers Aides. Et le pire, ce sont les autres séropos, les larmes dans les yeux, la colère au ventre, qui ne sauront pas où aller, qui ne voudront pas admettre qu’ils ont fait une connerie et qui se retrouveront perdus, là où on ne sait pas les trouver.

Je crois que lorsqu’on a un effet si nocif sur la vie des homosexuels, la tolérance doit être complètement oubliée. C’est pourquoi je me mets en colère après les homosexuels qui adressent la parole à Dustan. Oui, Act Up représente un cordon sanitaire autour de ce type qui, fondamentalement, détruit jour après jour ce que nous avons construit. Nous avons passé nos journées, nos soirées, nos nuits, nos dernières années à nous battre contre le sida. Et voilà que ce type déclare que son but, le seul but qu’il s’est fixé à part de devenir riche et célèbre, c’est de détruire Act Up. Pourquoi ? Parce que Act Up est le seul groupe à lui faire barrage. Vous ne voyez pas ?

Pendant des années, nous avons insulté des représentants de l’industrie pharmaceutique, des compagnies d’assurance. Des ministres. Des maires. Des partis politiques. Le SNEG. Même certaines associations que nous trouvions trop molles. Parce qu’il est pédé, séropo, juif, nous avons hésité à nous tourner contre Dustan. Il est temps de l’insulter, frontalement. Tous les jours. Il veut nous détruire ? Montrons-lui qui est Act Up.