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Mission Russie, première chronique

FrontAids

mercredi 20 avril 2005

Samedi 16 avril, premier jour de notre mission, notre avion se pose sur une piste de l’aéroport de Saint-Petersbourg, la deuxième ville de Russie. Un pays, membre du G8, où l’épidémie de sida croit à une vitesse que l’on croyait révolue. Six personnes nous attendent, un vrai comité d’accueil.

Après quelques kilomètres, leur voiture s’arrête au fond d’une cour en terre battue entourée d’immeubles anciens. Nous pénétrons dans une cage d’escalier vétuste et nous montons jusqu’au cinquième étage. Là, nous découvrons le local de nos hôtes. Un appartement assez spacieux, des meubles modernes récupérés. Ici, le bureau avec les ordinateurs, imprimantes, fax et photocopieur ; là c’est le salon, la salle de réunion décorée d’affiches, de bannières, de tee-shirts en russe et un « silence = mort » ramené directement de Paris, et la cuisine, la salle de bains, la chambre préparée à notre intention. Ce n’est pas le grand luxe, mais on s’y sent intuitivement chez nous, entourés de tant d’attention, de l’empressement et de l’enthousiasme de Daniel, Sacha, Andreï, Nixon, Anna et les autres.

Autour d’un café nous découvrons les premiers éléments du décor. La carte de la fédération de Russie au mur de la cuisine nous donne le vertige. Et puis la réalité nous rattrape : la photo d’un beau garçon au mur est amplement commentée. C’est Iaroslav, mort en janvier dernier d’une overdose, plus exactement d’un produit frelaté mal utilisé parce qu’il ne savait pas ce qu’on lui avait vendu. Et c’est ainsi que la soirée a commencé avec les récits de bravoure agrémentés des photos, des coupures de presse, des trophées telles cette paire de menottes qui leur a permis de s’enchaîner pour bloquer le ministère de la justice le 15 février dernier pour réclamer une meilleure prise en charge des détenus malades. Une action parmi d’autres que nous pensions infaisables dans ce pays.

Ces militants appartiennent à FrontAids un groupe activiste formé il y a juste un peu plus d’un an. FrontAids, que l’on pourrait traduire en « premier secours » s’il n’y avait pas ce « s » en plus qui transforme « aid » en sida. Ce n’est pas une association de plus mais un groupe d’activistes qui œuvrent dans diverses organisations d’usagers de drogues, d’action humanitaire, d’aide aux séropositifs. Ils sont aidés par anars, des écolos radicaux, et toute une coalition de gens qui en ont marre d’assister impuissants à tous ces scandales que le système russe produit chaque jour. À commencer par le rejet et la stigmatisation des séropositifs, et bien plus encore des usagers de drogues qui forment la grande majorité des porteurs du VIH dans cette région du monde. La fédération de Russie ne leur reconnaît aucun droit, surtout pas celui d’être soigné. Alors ils s’organisent. Pour réagir et pour s’entraider. Ils ont tant à nous raconter. Etre écoutés, pris au sérieux, considérés, voilà la première chose que nous leur avons apportée, c’est peu de chose mais cela semble une énorme libération pour eux.

Cette histoire, nous la connaissons un peu. Cela nous ramène à nos débuts. Les premières actions, la peur au ventre, mais avec la colère qui permet de braver tous les dangers ; la police trop disciplinée pour comprendre ce qui se passe ; l’utilisation des médias, à la fois pour se protéger des bavures policières et pour décupler la puissance de communication. Toutes ces recettes que nous avons éprouvées, les voilà à nouveau devant nous quinze ans plus tard pour les mêmes raisons, mais à l’échelle d’un pays gigantesque et bien moins respectueux des personnes et des droits. Comme ils ont l’air vulnérables et courageux à la fois ; ils nous ont pris pour des exemples mais c’est nous qui sommes admiratifs. Et puis on commence à échanger. Nos tee-shirts d’abord : bientôt nos amis revêtent les couleurs d’Act Up tandis que nous arborons fièrement le logo de FrontAids.

La soirée se prolonge. Ils nous interrogent, ils veulent comprendre, ils sont avides de nos idées, nos connaissances, nos pratiques. Ils sont comme nous lorsque nous avons créé Act Up en 1989, curieux et intéressés par tout ce qui pourra leur permettre de comprendre la maladie, de maîtriser leur destin. Ils veulent décider pour et par eux-mêmes et ne pas subir éternellement les règles absurdes que le pouvoir russe leur impose. Ces règles qui stigmatisent les séropositifVEs et bien plus encore les usagers de drogues, qui prévoient l’attribution de traitements, au compte-gouttes, pour les « bons » malades. Ils ont décidé de se battre pour plus de justice et pour que l’on reconnaissance leur droit à la santé. Un nouvel Act Up est né ? Non, c’est bien plus que cela. C’est une idée qui se réinvente partout là où des victimes décident de prendre leur destin en main. En Russie désormais cette idée a un nom : FrontAids.

Rassemblement devant la Maison Blanche (Moscou) le 1er décembre 2004

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