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La mort du pape, combien de fraction de secondes ?

mercredi 6 avril 2005

Pour Le Figaro, dans un article publié dans son édition du 4 avril dernier, il ne fait aucun doute que la mort du pape est plus importante que la lutte contre le sida. Nous avons envoyé un courrier de colère à Francis Morel, directeur de la publication du quotidien.

Objet : article du 4 avril « La rapidité de TF1, les hésitations de France 2 ».

Monsieur,

Dans l’édition du Figaro datée du lundi 4 avril 2005, vous publiez un article signé Pierre de Boishue sous le titre « La rapidité de TF 1, les hésitations de France 2 ».

L’objectif de l’article — houspiller France 2 parce que la chaîne aurait parlé de la mort définitive du pape deux minutes plus tard que TF1 — est inepte : la mort du pape, combien de fraction de secondes ? Mais que vous gâchiez l’encre et le papier que vos lecteurs et lectrices achètent ne nous poserait aucun problème, si, dans l’opposition absurde que vous faites entre les deux chaînes, vous ne rabaissiez à ce point l’importance du Sidaction et la gravité de la situation des séropositifVEs.

Il est évident que, pour votre collaborateur, le Sidaction aurait dû s’interrompre. Pierre de Boishue ne se préoccupe à aucun moment de l’impact qu’une telle interruption pourrait causer sur les ressources de l’association, et donc le financement d’activités essentielles à la lutte contre le sida. D’ailleurs, votre collaborateur n’interroge aucunE représentantE de Sidaction. Pourtant, l’interruption du programme, anticipée de 45 minutes, aurait appelé quelques commentaires : quel est le manque à gagner pour l’association ? Combien de programmes de prévention, de consultations d’observance, de programmes d’accès aux traitements dans les pays du sud ou encore d’équipes de recherche aurait-elle pu financer par ces 45 minutes supplémentaires d’appel à dons ? Toutes ces questions sont sans importance, puisque le pape est mort.

A la rivalité stupide entre TF1 et France 2, votre collaborateur substitue donc une autre concurrence, obscène : la mort du pape est-elle plus importante que la lutte contre le sida, que la mort de 10 000 personnes par jour, que les combats menés contre la pandémie ? Le Figaro pose donc la question et, par cet article, répond clairement : les malades du sida sont moins importantEs et devraient être passés sous silence.

Nous sommes une association de séropositifVEs, de malades du sida. Nous n’acceptons pas que vous nous rabaissiez. 10 000 malades meurent chaque jour, sans qu’on en parle quotidiennement. Quelle attention Le Figaro leur accorde-t-il avec ce genre d’article qui affirme qu’on a trop parlé du sida ce week-end, et pas assez du pape ?

Salutations,

Jérôme Martin, Président d’Act Up-Paris


L’article du Figaro

La rapidité de TF 1, les hésitations de France 2

Pierre de Boishue [04 avril 2005]

Samedi soir, 22 h 05 : TF 1 interrompt la diffusion des « 100 plus grandes gamelles » pour annoncer une édition spéciale. L’instruction est donnée par Etienne Mougeotte qui, après une réunion éclair avec le directeur de l’information Robert Namias et celui de l’antenne Jean-François Lancelier, prend immédiatement la décision de bouleverser la grille. Pas question de revenir plus tard sur l’émission présentée par Christophe Dechavanne.

Début du flash. La journaliste de LCI Hélène Devynck annonce la mort du Saint-Père. Au même moment, sur France 2, les « Stars en duo » continuent de chanter contre le sida. Gros plan sur l’animatrice Daniela Lumbroso qui cède enfin la place à Carole Gaessler. Deux minutes, environ, se sont écoulées entre le lancement des deux éditions spéciales.

Intense émotion, aussi, sur KTO, la chaîne catholique. « On a tous le souffle coupé », lance le présentateur, tout de noir vêtu.

Retour sur France 2. A la surprise générale, Carole Gaessler redonne la parole à Daniela Lumbroso. Le flash d’information n’aura duré que six minutes. Place à la chanson. « Il s’agissait d’un programme de solidarité », indique-t-on au siège de la chaîne publique, mobilisée samedi soir contre le sida au côté de Line Renaud. « Nous étions dans un cas de figure particulier, confie la directrice de la communication de France 2, Christine Delavennat. On comprend que TF 1 ne se soit pas posée de questions pour interrompre la diffusion des « 100 plus grandes gamelles ». Nous aurions agi de la même façon si nous avions diffusé un divertissement. Le sidaction, c’était différent. Nous avons souhaité être respectueux des malades du sida, mais aussi du Pape. »

La programmation initiale aurait-elle été annulée si la nouvelle de la disparition du Pape était tombée avant 20 heures ? « Peut-être, ajoute la directrice de la communication de la chaîne, mais, une fois le sidaction commencé, cela devenait difficile. Nous n’avons pas été pris de court, nous avions envisagé toutes les hypothèses. »

Il n’empêche : un sentiment de malaise a gagné le public de France 2 ce samedi soir. Etrange sensation que celle d’entendre Arielle Dombasle donner de la voix sur France 2 pendant que les témoignages de hautes figures de l’Eglise se succédaient sur les chaînes concurrentes. Difficile aussi de partager le bonheur de Clémentine Celarié et de Michel Jonasz sur le point d’interpréter un duo. Mais se sentaient-ils le coeur, vis-à-vis des malades du sida, d’abandonner cette bonne humeur, dès lors que la chaîne publique poursuivait le direct ?

Dans cette ambiance étrange, chacun a tenté de commenter la disparition du Pape. « La Foi, c’est quelque chose d’universel », a notamment déclaré Clémentine Célarié. « Il y aura bien sûr une édition spéciale », a martelé Daniela Lumbroso, aussi émue que déstabilisée.

La suite de cette émission, à la démarche généreuse, n’aurait-elle pas pu être diffusée dans les prochains jours, pour laisser la place à l’information ? « Nous avons fait ce que nous devions en tant qu’organisateur de cette grande soirée Sidaction, se défend Christine Delavennat. L’émotion était présente tout au long de l’émission. »

A 22 h 55, Daniela Lumbroso a fini par rendre l’antenne, 45 minutes avant l’horaire prévu. Cédant la place à Carole Gaessler et à l’actualité. Dès lors France 2 a fait jeu égal avec la force de frappe du groupe TF 1-LCI. Une édition complète et émouvante qui s’est achevée vers 1 heure du matin.