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Démantèlement de l’Assurance Maladie : les personnes atteintes de pathologies graves sont les premières visées

samedi 24 juillet 2004

Hier, jeudi 22 juillet, Act Up-Paris a été reçu par Xavier Bertrand. En vain. Le secrétaire d’Etat refuse de modifier d’un iota ses positions et de prendre en compte le point de vue des personnes vivant avec une pathologie lourde. Ou bien il assume parfaitement les conséquences dangereuses que vont avoir ses mesures, comme la consultation à un euro ; ou bien il essaie de calmer nos inquiétudes en prétendant que la réforme en cours n’entraînera pas de modification de notre prise en charge. Xavier Bertrand aurait ainsi inventé la réforme qui ne change rien.

Act Up-Paris condamne le démantèlement de l’Assurance Maladie opéré par le gouvernement. Sous prétexte de « sauver » la Sécurité sociale de ses déficits, les mesures, étudiées à partir d’aujourd’hui au Sénat, vont restreindre l’accès aux soins et la qualité du suivi médical, notamment pour les personnes vivant avec une pathologie lourde comme le vih/sida.

Le gouvernement est prêt à passer en force, malgré ses récents déboires électoraux. Comme pour les retraites ou le régime de l’assurance chômage des intermittents du spectacle, il se moque des oppositions, surtout quand elles émanent des premiers concernés.

Depuis maintenant plus d’un mois, Act Up-Paris tente de faire entendre sa voix sur des incohérences manifestes et des corrections de bon sens concernant des points précis de la réforme. Malgré cette opposition constructive au projet, chacun de nos interlocuteurs aura préféré s’enliser dans la langue de bois, les arguties mielleuses et finalement le mépris plutôt que d’aborder le fond de notre argumentation.

C’est ainsi que, pour obtenir un rendez-vous avec le secrétaire d’Etat à l’Assurance maladie, Xavier Bertrand, il nous aura fallu manifester devant le ministère de la santé, puis occuper le standard téléphonique et les fax de ses services. Au cours de la manifestation du jeudi 15 juillet, des malades ont été interpellés et traînés au sol, prévenu par téléphone le ministère a préféré ne pas « interrompre le travail des forces de l’ordre », avant que de se rendre au commissariat pour porter plainte contre nous. Bel exemple de la considération dont l’UMP entend témoigner envers les malades.

Nous avons choisi d’analyser deux articles du projet de réforme (articles 3 et 11) particulièrement révélateurs de la manière dont les enjeux de santé publiques sont abandonnés pour une logique comptable à courte vue.

Article 11 : la contribution à un euro

« Responsabiliser » les usagers

L’article 11 du projet de loi prévoit de faire payer pour chaque consultation ou examen une somme forfaitaire, fixé pour l’instant à un euro. Il s’agit là d’une des mesures les plus obscènes jamais proposées. Xavier Bertrand l’assume parfaitement.

Selon lui, la somme récoltée ainsi sera ridicule en regard des déficits. Il ne s’agirait donc pas d’une mesure financière. Cela ne l’empêche pas d’affirmer par ailleurs que cette disposition évite de dérembourser des prestations ou d’augmenter des cotisations. Il en fait donc une mesure financière. Xavier Bertrand n’en est pas à une contradiction près.

Selon lui, il s’agirait de responsabiliser les usagers, de leur faire prendre conscience que « si la santé n’a pas de prix, elle a un coût ». Depuis l’arrivée de la droite, les consultations chez les généralistes ont augmenté de deux euros, le forfait hospitalier et le ticket modérateur ont explosé, l’Aide Médicale d’Etat (AME a été démantelée, la Couverture maladie universelle (CMU) remise en question : la droite a suffisamment fait comprendre aux usagers, notamment les plus précaires, que la santé avait un coût. La mesure est par ailleurs profondément injuste : un précaire paiera la même somme qu’une personne riche.

Pourquoi une personne 30 fois plus malade devrait-elle être « responsabilisée » 30 fois plus qu’une personne en parfaite santé ? Pourquoi une personne 30 fois plus pauvre devrait-elle être 30 fois plus responsabilisée qu’une personne sans difficultés financières ? Pourquoi une personne 30 fois plus pauvre et 30 fois plus malade devrait-elle être 900 fois plus « responsabilisée » qu’une personne en parfaite santé sans difficultés financières ?

Cette mesure ne peut donc que décourager les plus précaires à aller consulter et les forcer à attendre que des pathologies graves se déclarent pour aller chez le médecin. C’est ainsi tout une politique de prévention et de dépistage qui est menacée.

Un impôt sur la maladie

Le gouvernement, en fixant (initialement) le forfait à 1 euro, voudrait faire passer son impôt indirect sur la maladie pour une nouvelle « opération pièces jaunes ». On peut aisément imaginer qu’il n’aurait jamais osé le faire de la sorte si cette contribution avait du être exprimée en francs.

Les bénéficiaires de la CMU seront exonérés de cette somme. Pas par philanthropie : les frais administratifs pour pouvoir prélever cette somme dans le cadre de la CMU seraient trop élevés.

L’UMP refuse d’élargir cette exonération. Tout le monde doit payer, sinon, la mesure serait vidée de sa substance. Tout le monde, même les mutilés de guerre, les invalides civils, les accidentés du travail ou les personnes vivant avec une affection longue durée (ALD, dont les séropositifs.

Il y a une contradiction dans les termes entre la prise en charge d’une ALD, censée être à 100 %, et la volonté de faire payer aux malades en ALD une franchise d’un euro. S’il était adopté en l’état, l’article 11 du projet de loi correspondrait donc à une remise en cause du 100 %.

En quoi une contribution forfaitaire peut-elle être considérée comme un facteur de « responsabilisation » dans le sens d’une minimisation du nombre de consultations dans le cas de personnes en ALD pour lesquelles les impératifs de santé publique imposent au contraire une responsabilisation dans le sens d’une maximalisation de leur suivi ?

Dans le cas du vih/sida, les recommandations du groupe d’experts présidé par le professeur Delfraissy indiquent qu’une visite tous les deux ou trois mois et un bilan sanguin complets sont indispensables. Cette fréquence est obligatoire pour assurer un suivi correct des personnes.

A ce suivi de routine s’ajoutent les consultations pour des problèmes directement liés au vih/sida, soit du fait d’affections opportunistes ou de leurs séquelles, soit à cause des effets indésirables des traitements. Ces consultations peuvent concerner toutes les spécialités : virologie, immunologie, hépatologie, dermatologie, gastro-entérologie, oncologie, psychiatrie, neurologie, ophtalmologie, etc. De nombreux examens sont indispensables.

Une personnes malade consulte forcément plus qu’une personne en bonne santé. Donc, une personne atteinte de pathologie grave aura à payer beaucoup plus qu’une personne en bonne santé. Il s’agit là d’une véritable gabelle sur la pathologie lourde : on pénalise financièrement des personnes pour la seule raison qu’elles sont malades et que leur état de santé nécessite des consultations et des examens fréquents. Même un plafonnement ne change en rien cette obscénité. Un malade devra payer le forfait maximum, alors qu’une personne en bonne santé n’aura à payer qu’un ou deux euros par an.

Par ailleurs, le montant d’un euro n’est pas symbolique, surtout si on multiplie les franchises pour l’ensemble de ces actes médicaux. Ce montant pourra être révisé par l’UNCAM, sans aucune consultation préalable des associations. Sa révision est donc susceptible de conduire aux dérives que nous avons constatées concernant le ticket modérateur.

Une taxe supplémentaire pour les précaires

Les bénéficiaires de l’Allocation Adulte Handicapé (AAH) ne seront pas, eux non plus, exonéré de ce forfait. On sait déjà que ces allocataires subissent les effets de seuil lié aux plafonds de ressources fixés pour la CMU. Pour quelques euros de trop, ils n’ont pas droit à une complémentaire gratuite. La disposition à venir renforcera leur précarité.

Article 3 : Quel avenir pour les Affections Longue Durée (ALD) ?

Une personne atteinte d’une pathologie lourde comme le vih, le diabète, l’hypertension ou un cancer est prise en charge à 100 % pour tous les actes de santé liés à sa pathologie. L’article 3 du projet de loi entend réformer ce régime spécifique, celui de l’Affection Longue Durée. Tout laisse croire qu’il s’agit de restreindre le remboursement des soins accordé au titre de l’ALD. On l’a déjà vu, le fait même de faire payer des consultations un euro est une remise en cause du 100 %. Xavier Bertrand affirme qu’il ne faut lire dans l’article que la volonté de mieux organiser un système complexe. L’analyse de l’article montre qu’il en est tout autrement.

Un protocole de soins fondé sur des impératifs comptables, qui exclut le malade

Un protocole de soins, préalable à toute prise en charge du malade en ALD, sera mis en place par le médecin traitant et le médecin conseil de la Sécurité sociale, afin d’évaluer les actes liés à l’ALD, remboursés à 100 %, et ceux qui ne le sont pas. Xavier Bertrand prétend qu’il n’ y a rien de nouveau par rapport au Protocole Pires. Si tel est le cas, on se demande à quoi peut bien servir une réforme qui ne change rien.

En réalité, l’article renforce le rôle du médecin expert de la Sécurité. C’est bien une approche comptable de la prise en charge des pathologies lourdes qui est prise en compte. Il s’agit bien de prédéfinir des soins essentiels à l’ALD et des soins superflus. Dans le cas du sida, et de nombreuses autres ALD, c’est une aberration. Qu’est ce qui est nécessaire dans le cadre du vih ? Les seuls antirétroviraux ? Comme évaluer à l’avance les besoins d’une personne touchée par le virus, qui peut être confrontée à des problèmes immunitaires, hépatologiques, dermatologiques, gastriques, neurologiques, ou qui peut avoir besoin de soins prévenant l’ostéoporose, de chirurgie réparatrice pour lutter contre les troubles de la répartition des graisses ou encore ou encore d’un suivi psychiatrique ?

Le patient est exclu de l’élaboration du protocole. Il devra se contenter de la signer. Que se passera-t-il s’il est en désaccord avec son médecin traitant ou le médecin expert ? L’exclusion du patient des décisions qui le concernent représentent une grave régression et entraînera un déséquilibre dans la relation thérapeutique. L’exclusion du premier concerné, le malade, de l’élaboration des protocoles de soins, ramène celui-ci à un statut de « patient », spectateur subissant, en même temps qu’elle exclut de la prise en charge les éléments qu’il est pourtant le seul à pouvoir apporter (effets indésirables, contraintes des traitements...). De même le rôle du médecin traitant est-il fondamentalement remis en cause puisque même si son diagnostic est formel, il sera lui aussi empêché dans sa pratique par la rigidité du protocole défini.

Enfin ces protocoles de diagnostic et de soins ne sont révisables que périodiquement. Qu’adviendra-t-il donc d’un patient ayant un protocole de soins devenu obsolète du fait de l’aggravation de sa pathologie, d’une co-infection, ou de l’avancée des connaissances médicales ? Les recommandations de prises en charge de nombre d’affections de longues durée évoluent très rapidement. Si ces protocoles ne peuvent être révisés en cas d’évolution de la pathologie ou des connaissances médicales, ils ne pourront en aucun cas être garant d’une qualité de soins tel que le prévoie le ministère de la santé.

Les associations exclues

Le gouvernement refuse de reconnaître la place essentielle que jouent les associations de malades, dans les recommandation de soins. La participation des association de malades y est absolument nécessaire, en ce qu’elle apporte un savoir qu’elles seules détiennent, notamment au sujet des effets secondaires ou de l’observance des traitements. Le Ministère assure bien sûr que ces associations seront toujours entendues mais sans que rien ne figure à ce sujet dans la loi. Lorsque l’on sait, par exemple, que l’ensemble des associations de lutte contre le sida se battent en vain depuis 4 ans pour que les recommandations du rapport Delfraissy soient enfin prises en compte globalement par la nomenclature de la Sécurité sociale, on imagine le crédit que nous portons à de telles déclarations d’intentions.

La remise en cause du secret médical

L’article 3 entend obliger les patients atteints d’ALD à présenter un protocole sur papier définissant les soins nécessités par la prise en charge de leur affection. Ce document permettra donc de déduire la pathologie du malade. Or rien ne saurait garantir que tout malade aura la possibilité de tenir secret ce document. Les risques de violation du secret médical sont donc particulièrement importants. Ainsi une personne séropositive habitant encore chez ses parents pourrait ne plus pouvoir tenir secret à ceux-ci son statut sérologique s’il le souhaite.

Un dispositif coordonné de soins coercitif

La mise en place de dispositif coordonné de soins est une mesure censée promouvoir le travail des réseaux de santé et inscrire les usagers dans des cadres cohérents, notamment quand la prise en charge est complexe et nécessite le travail de plusieurs spécialistes. C’est l’objectif affiché de Xavier Bertrand. Néanmoins, la lecture du paragraphe IV de l’article 3 montre bien que le véritable but est encore comptable. Il s’agit de restreindre la liberté de choix du patient et l’accès à tous les soins prévus par l’ALD.

En effet, l’entrée dans un dispositif coordonnée de soins n’est pensée qu’en termes coercitifs. L’article 3 prévoit de pouvoir limiter ou supprimer le remboursement à 100 % si le malade ne va pas se faire soigner là où on le lui a indiqué. On reconnaît là les valeurs fondamentales de l’UMP, qui est incapable de penser une politique de promotion d’un dispositif de santé autrement que par la sanction et la coercition.

Les malades atteints d’une affection de longues durées sont amenés à devenir experts de leur pathologie. Les stratégies thérapeutiques doivent être élaborées entre le patient et le médecin. Le malade doit avoir le droit de prendre avis au près d’un autre médecin quand il se sent en désaccord avec les choix de son praticien. Ce droit se trouverait empêché, si la suppression de la participation de l’assuré était conditionnée à un dispositif coordonné de soins.

Act Up-Paris s’oppose à cette réforme. L’analyse de deux articles de la loi montre suffisamment les menaces qui planent sur le droit des malades et l’accès aux soins. Nous avons proposé à des sénateurs des amendements visant à éviter le pire. Nous demandons au ministère de la santé, Philippe Douste-Blazy, de les soutenir devant les sénateurs.