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Gilead organise la contamination des travailleuses du sexe

vendredi 16 juillet 2004

APNSW (Asian Pacific Network of Sex Workers) et Act Up-Paris dénonçons aujourd’hui jeudi 15 juillet les pratiques du laboratoire Gilead qui mène sur les personnes prostituées des pays du Sud des essais relatifs au Tenofovir® en dehors de toute règle éthique.

Depuis le milieu des années 90, lorsque les grands laboratoires s’apprêtaient à mettre sur le marché les antiprotéases qui, au sein de puissantes combinaisons antirétrovirales (HAART), ont permis de prolonger la vie des personnes vivant avec le VIH, on s’interroge sur la capacité de ces molécules — et en particulier des analogues nucléosidiques et nucléoditiques — à servir de traitement prophylactique destiné à prévenir l’infection à VIH. Gilead, avec son Tenofovir®, n’a pas fait exception. Les essais menés in vitro ont été encourageants. Ceux menés chez le singe et dont les résultats ont été présentés en juillet 2003 à la Conférence de l’IAS à Paris ont confirmé les espoirs dont est porteuse la molécule dans ce domaine.

L’étape suivante devait évidemment être de tester le produit chez l’être humain, à travers un essai randomisé Tenofovir® contre placebo. Il s’agit de comparer les résultats de deux groupes, l’un recevant effectivement la molécule, l’autre prenant un comprimé ayant le même aspect mais ne contenant pas de principe actif. Du fait de la faible probabilité, en population générale, d’être exposé au VIH dans un pays du Nord, il serait nécessaire d’inclure dans un tel essai un très grand nombre de participants pour déboucher sur des résultats significatifs. Un tel recrutement nécessitant des moyens financiers et logistiques considérables — que Gilead n’a pas souhaité mettre en œuvre — il a été nécessaire de trouver un échantillon de population pour servir de base à l’essai.

Depuis un an, des essais sont lancés pour tester in vivo les capacités préventives du Tenofovir®. Ils sont financés par la Fondation Bill et Melinda Gates, mis en place grâce au support logistique du laboratoire Gilead - qui fournit le Ténofovir® et le placebo - et réalisés par des ONG de terrain. On a choisi d’y inclure des prostituées de trois pays africains (Cameroun, Ghana, Nigeria) et du Cambodge. Ceci permet de recruter des séronégatifs appartenant à un groupe de personnes fortement exposées à un risque de contamination par le VIH du fait de leur activité. Il est ainsi possible de réaliser un essai dont l’effectif est bien plus réduit que si on l’avait mené en population générale et qui permet de montrer une différence statistiquement significative entre les deux bras de l’essai. Il est en effet plus simple, plus rapide et moins coûteux de montrer les capacités préventives du Tenofovir® au sein d’une population dont les risques de séroconversion sont importants.

Nous dénonçons le principe même d’un essai mené sur les prostituées des pays en développement. En effet, les prostituées constituent souvent un groupe précarisé du fait de sa situation légale et sociale caractérisée par l’absence de statut, une non reconnaissance de leur droit et une stigmatisation toujours croissante. Les répressions policières et les confiscations de préservatifs par les représentants des forces de l’ordre, la difficulté d’accès aux actions de prévention et les perpétuelles négociations avec les clients pour imposer des rapports sexuels protégés sont autant d’obstacles à des conditions de vie décentes. Cet essai peut laisser penser aux personnes incluses, même s’il leur est expliqué qu’un des deux bras est placebo, que le Tenofovir® peut les protéger des risques de contamination, alors que cet effet prophylactique n’est pas encore démontré. En choisissant, en raison de coûts moindres, des prostituées pour mener cet essai, Gilead leur fait courir un risque supplémentaire alors que, déjà, elles peinent à déployer des stratégies de prévention du VIH/sida efficaces.

En outre, la prise en charge des personnes incluses dans l’essai est inadmissible à plus d’un titre :
 Modalités d’incitation à entrer dans l’essai et rémunération. Dans un contexte où l’accès aux soins et aux traitements relatifs aux Infections Sexuellement Transmissibles (IST) est très souvent difficile voire impossible pour les personnes prostituées, l’essai prévoit que les personnes incluses bénéficieront de cet accès aux soins. L’inclusion leur donne accès à des prestations dont elles ne bénéficieraient pas par ailleurs ce qui remet en cause le libre choix de rentrer dans l’essai. Celui-ci prévoit également une indemnité de 3 US$ par visite mensuelle, qui est censée couvrir les frais de transport et le temps passé. Ceci parfait le dispositif de chantage mis en place par les promoteurs de l’essai.

 Education à la santé et promotion de la prévention. Cet essai relatif aux capacité préventives d’une molécule nécessiterait un accompagnement dans les stratégies de prévention individuelles. En effet, pour parer au risque de considérer cette molécule comme un outil de prévention qu’elle n’est pas et pour assurer la sécurité des personnes incluses, il conviendrait de mettre à disposition des personnes incluses des préservatifs masculins et féminins, de mettre en place un dispositif de counseling individuel et de développer un travail d’empowerment nécessaire à la promotion de stratégies de prévention. Ces dispositions sont très insuffisantes dans les essais actuellement menés. Ainsi au Cameroun, aucun accès aux préservatifs féminins n’est prévu et les moyens mis en œuvre pour accompagner les personnes sont dérisoires, puisque seuls cinq travailleurs sociaux sont prévus pour cent personnes.

 Prise en charge des personnes séropositives. L’accès aux traitements et aux soins n’est pas prévu pour les personnes découvertes séropositives à l’entrée dans l’essai ni pour celles devenues séropositives en cours d’essai. Il devrait pourtant s’agir de l’engagement minimal des promoteurs de l’essai que de prendre en charge les personnes séropositives qui acceptent de se soumettre à cette recherche et celles qui sont tombées malades au cours de son déroulement.

Ainsi, pour des raisons de facilité, de rapidité et de coût moindre, la Fondation Bill et Melinda Gates et le laboratoire Gilead font prendre des risques de contamination supplémentaires aux personnes prostituées incluses dans cet essai en profitant de leur situation de précarité légale et sociale.

Ces essais sont menés en dépit de toutes les règles éthiques qui encadrent les recherches biomédicales menées dans les pays du Nord et qui devraient également encadrer celles menées dans les pays en développement.

Tant que les personnes prostituées n’auront pas le droit à la parole et que ne sera pas reconnu leur droit au travail, à la dignité et à un statut, elles continueront à constituer une population plus exposée au VIH que d’autres.

C’est d’ailleurs pourquoi Gilead les a choisi pour mener ces essais.

Nous exigeons :
 que Gilead cesse de prendre les prostituées des pays en voie de développement pour des cobayes à peu de frais ;
 l’arrêt immédiat des essais Tenofovir® prophylactique destiné à prévenir l’infection à VIH dans le monde tel qu’ils sont menés actuellement ;
 que les personnes déjà sélectionnées et dépistées séropositives ou qui le sont devenues depuis le début des essais soient entièrement prises en charge par Gilead avec un suivi médical, des traitements pour les infections opportunistes et des ARV si besoin ;
 que les laboratoires et les agences de recherche sur le vih se refuse à organiser des essais dans lesquelles l’insuffisance de moyens entraîne des concessions inacceptables sur l’éthique.