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Après la condamnation de Strasbourg : pour un procès des politiques publiques de prévention

samedi 3 juillet 2004

Il y a un mois, le Tribunal Correctionnel de Strasbourg avait condamné par défaut à six ans de prison ferme un homme séropositif pour « administration volontaire d’une substance nuisible ayant entraîné une infirmité permanente ». Il lui était reproché d’avoir contaminé sciemment deux jeunes femmes lors de rapports sexuels non protégés. Cette condamnation a été confirmée lundi 28 juin lors d’un second procès en présence du prévenu. Il a en outre été condamné à indemniser ses ex-partenaires à hauteur de 230 000 euros chacune.

Act Up-Paris tient tout d’abord à exprimer à nouveau sa tristesse et sa colère devant les contaminations que cette affaire révèle. Chaque nouvelle contamination est pour nous un drame. Cependant, 15 années de lutte contre le sida nous conduisent à récuser la réponse judiciaire et carcérale apportée à ce drame par le jugement de Strasbourg.

Dès 1991, le Conseil National du Sida soulignait les risques d’une pénalisation de la transmission du VIH, qui « ferait obstacle aux politiques de prévention » et « n’aurait d’autre effet qu’une stigmatisation supplémentaire des personnes souffrantes ». La décision de Strasbourg réactualise ces craintes :
 si cet homme ne s’était pas fait dépister et avait donc ignoré sa séropositivité, il n’aurait pas été condamné. Le jugement, notamment s’il devait faire jurisprudence, est une incitation pour les personnes ayant eu des pratiques à risque à ne pas se faire dépister. Or l’un des principaux enjeux des politiques de prévention et de santé publique face à l’épidémie est d’inciter au dépistage. Aujourd’hui, 12 % des nouvelles contaminations ne sont dépistées qu’au stade du sida déclaré, indiquant que des milliers de séropositifs ignorent leur statut sérologique pendant des années.
 l’affirmation de la séronégativité du partenaire, qu’elle soit mensongère ou sincère, ne saurait conduire à abandonner sans risque les pratiques protégées. Le jugement de Strasbourg laisse au contraire entendre que cette parole, pourvu qu’elle soit sincère, suffirait à prémunir contre les risques de contamination. Il est pourtant certain que de telles affirmations « sincères » sont à l’origine de la très grande majorité des contaminations.
 le jugement fait reposer toute la prévention sur les seules personnes séropositives et déresponsabilise entièrement les personnes séronégatives ou se supposant telles. Il ne s’agit nullement de dédouaner les personnes séropositives mais de réaffirmer qu’une démarche de protection ne peut se fonder que sur la responsabilité commune, solidaire et indivisible des deux partenaires.
 la partition des responsabilités qu’opère le Tribunal induit la stigmatisation des séropositifs, définis par le danger qu’ils représentent face aux séronégatifs qui en seraient les victimes. Les propos du Procureur révèlent brutalement cette conception quand il regrette que le prévenu ait été laissé en liberté pendant l’instruction au risque de faire de « nouvelles victimes » [1].
 la nature de la peine prononcée (6 ans d’emprisonnement ferme) est doublement inacceptable : tout d’abord en raison de l’incompatibilité entre l’incarcération et le suivi des soins qu’exige l’état de santé d’une personne atteinte par le VIH, ensuite en ce qu’elle suggère, dans les termes du procureur, que l’enfermement des séropositifs serait un moyen de lutter contre de nouvelles contaminations.

A la suite de cette condamnation et du signal dangereux qu’elle donne, les recours aux tribunaux suite à des contaminations risquent de se multiplier. Une telle juridiciarisation est le symptôme de l’échec de politiques de prévention radicalement insuffisantes quantitativement et qualitativement. Pour s’en tenir aux propos tenus par les différentes parties au procès, force est de constater que, après plus de 20 ans d’épidémie, l’information du public est défaillante :
 le danger de l’épidémie et les moyens de s’en prémunir sont perçus en termes de choix des partenaires et non de protection dans les pratiques sexuelles ;
 la connaissances des outils de prévention est incomplète.

Sur ce second point il est en effet particulièrement frappant qu’au cours du procès aucune des parties n’ait mentionné le fait suivant : le fémidom (préservatif féminin) qui a été conçu comme un outil de prévention particulièrement destiné aux femmes, ne contient pas de latex puisqu’il est fabriqué en polyuréthane [2]. Autrement dit si des campagnes de prévention réellement efficaces avaient été menées, cette question de l’allergie aurait été sans conséquences.

Ce désastre est donc d’abord le fruit de la démission du Ministère de la Santé (DGS, INPES), de l’Education Nationale et de l’absence de campagnes publiques permanentes, suffisamment ciblées et diversifiées pour atteindre efficacement les différentes catégories de population, suffisamment précises pour apporter toute l’information dont chacun a besoin selon ses pratiques. Le jugement de Strasbourg n’apporte aucune réponse à ces carences des pouvoirs publics, il ne fait qu’en aggraver les conséquences.

Il est aujourd’hui temps d’ouvrir le procès qu’appelle beaucoup plus fondamentalement cette affaire : celui de la déliquescence des politiques publiques de prévention.


[1source AFP

[2il existe aussi des preservatifs masculins en polyuréthane