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Dossier Prévention

15 ans à battre campagnes

mardi 15 juin 2004

En 1989, Act up faisait sa première apparition publique lors de la gaypride, ce fut le début d’un combat. De nombreuses Gay Pride ont suivi, mais le combat
est toujours là, car les contaminations continuent et l’on meurt toujours du sida.

Depuis 15 ans, l’épidémie n’a pas cessé, l’hécatombe continue, nous avons toujours des amis, des amants, des maris qui meurent. La question de la prévention est plus que jamais au coeur du problème du sida, le nombre de contaminations augmente de nouveau. L’utilisation de la capote n’est plus systématique. C’est notre rapport à l’autre, à notre corps que nous devons nous réapproprier.

Mais il ne suffit sans doute pas de dire, « la capote toujours » pour que ça marche. Depuis plus de cinq ans, Act Up martèle ce discours, quand d’autres associations sont prêtes à faire des concessions avec le risque, et de plus en plus de pédés, si l’on en croit les chiffres en provenance de l’Institut national de veille sanitaire, ressortent des centres de dépistage avec un test positif en poche. Bienvenue dans le troisième millénaire...

La prévention, c’est un peu comme l’adhésion à un traitement : il faut prendre l’ensemble de son traitement, tous les jours, pour mettre toutes les chances de son côté et envisager un avenir. La capote, c’est la même chose. Un seul oubli peut provoquer la contamination par le VIH. It’s as simple as that ! Plusieurs études, conduites pour la plupart à l’étranger, ont montré qu’une partie de ces contaminations ont lieu au sein du couple. Il faut donc repenser notre prévention et notre vision du couple. Nous devons aussi nous interroger sur nos pratiques dans les lieux de consommation sexuelle (les sex-clubs, les saunas, les parcs) car là aussi les pratiques à risque sont fréquentes.

Depuis des années, Act Up a mené des actions ciblées sur les établissements qui n’offraient pas à leur clientèle le matériel de prévention nécessaire. Mais comment accepter qu’aujourd’hui encore près d’un établissement de sexe sur deux à Paris n’a pas signé la Charte de responsabilité qui constitue pourtant un acquis minimum. Trop de commerces gay, pas toujours tenus par des pédés d’ailleurs, considèrent qu’ils n’ont aucune responsabilité dans la prévention plus de 20 ans après le début de l’épidémie. Quand vous allez dans un établissement, vérifiez qu’il met à votre disposition le matériel de prévention là où vous en avez le plus besoin, c’est-à-dire dans les cabines, dans les backrooms et pas seulement dans un saladier sur le bar ! Et n’oublions pas Internet, qui a aujourd’hui un rôle important chez les pédés, et où le noKpote est devenue la norme. Notre slogan pour la Gay Pride de 1991, était déjà « sida : pédés, lesbiennes, réveillez-vous ! Ne vous endormez pas. Envoyez des mails de protestation aux sites qui encouragent les pratiques à risque en laissant diffuser des messages bareback.

Bien sûr, l’État a une responsabilité directe dans le relâchement des pratiques safe. Jamais, depuis 1981, les différents gouvernements qui se sont succédés n’ont pris la mesure de la catastrophe sanitaire qui se développait. Tout juste a-t-on eu droit à des campagnes télévisées en total décalage avec la réalité de l’épidémie. De la première : « le sida ne passera pas par moi ! » (trop tard, disions-nous à l’époque) au pastiche d’une pub L’Oréal l’hiver dernier, les communicants ont toujours fait fausse route. Parce qu’à aucun moment les ministres de la santé n’ont voulu s’adresser directement aux pédés en parlant de leurs pratiques. Tout juste avait-on droit à des allusions ou mieux, selon une expression de feu l’Agence française de lutte contre le sida, de clins d’oeil. Tout est dit.

Cette année, comme tous les ans depuis 15 ans, nous avons vu arriver de nouvelles têtes à Act Up : des garçons et des filles séronégatifVEs qui se battent pour réveiller leur communauté, des folles furieuses du safe sexe, des garçons en couple. Et nous avons aussi vu arriver de nouveaux séropos. Échec des messages de prévention, absence de dialogue dans le couple, oubli de la capote, une fois, en se disant : « ce mec a l’air safe ». Dans la communauté gay le sida est devenu un bruit de fond, inaudible. Naïvement beaucoup pensent que le sida est une maladie guérissable, que les traitements sont efficaces et faciles à prendre. Le sida est une maladie mortelle et les traitements, nous le savons quand nous devons les gober quotidiennement, peuvent présenter des effets indésirables qui deviennent parfois insupportables. En 2003, le slogan d’Act Up pour la gay pride était « Capote=vie »

N’acceptons pas le discours sur le noKpote : ne pas se protéger, que ce soit un choix ou occasionnel, est une violence que l’on fait subir aux autres et à soi-même. Avons-nous tellement la haine de nous-mêmes et des autres pour ne pas comprendre que l’abandon de la capote ne peut que conduire à une nouvelle hécatombe dans la communauté gay, d’une ampleur insoupçonnée, tout simplement parce le nombre de séropos a augmenté de façon très importante et qu’il suffirait qu’une fraction de ceux-ci et une fraction des séronégatifs lâchent la prévention pour que l’épidémie devienne hors de contrôle. N’acceptons pas les message simplistes d’une prétendue réduction des risques sexuels qui consiste à faire ressembler notre sexualité à une loterie, où on essaye de nous faire croire que le risque peut être hiérarchisé. Seule la capote protège du sida.

« NoKpote ? No Way ! », la gaypride 2004 marquera les 15 ans de l’association. Y a-t-il lieu de se réjouir ou au contraire devons-nous considérer ces 15 années comme autant de preuves à charge dans l’échec de notre combat contre le sida ? En 1989, nous mettions au point 15 mesures d’urgence, et nous pensions que la volonté politique de lutter contre l’épidémie allait pouvoir y mettre un terme. 15 ans plus tard, Act Up est toujours là et l’épidémie n’a jamais été plus complexe. En France, plus de 25 000 personnes sont en sida déclaré, un chiffre qui n’a jamais été aussi élévé et près de 150 000 personnes sont séropos.

Les traitements ont permis de réduire considérablement la mortalité mais ils ne sont plus suffisants aujourd’hui pour des milliers de séropositifVEs qui ont un besoin urgent de nouvelles molécules. Et dans la communauté gay, celle dont Act Up est issue, le safe sex n’est plus une priorité. Cette situation ne peut plus durer.

À Act Up, des militantEs ont connu l’avant sida, ces années où nous n’avions pas à nous préoccuper de trouver ou de mettre des capotes. Un âge d’or diront certainEs. D’autres, les plus jeunes, n’ont connu au contraire qu’une communauté où le sida est très présent et la prévention une nécessité absolue. Mais qui peut dire aujourd’hui que l’unE d’entre nous connaîtra l’après sida ? Personne. Et si nous continuons à ne pas faire du sida une priorité absolue, ces 15 dernières années nous ont montré où cela pourrait nous conduire : dans les hôpitaux et au Père Lachaise.