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Edito

samedi 15 mai 2004, par Jérôme Martin

 1. Action n’est pas paru depuis le début de décembre dernier. Pour faire face à la crise financière que nous traversons et éviter la disparition d’Act Up-Paris, il nous a fallu faire des choix et ralentir nos activités les plus coûteuses, parmi lesquelles l’impression et la diffusion de notre lettre mensuelle. Aujourd’hui, nos problèmes financiers sont loin d’être résolus, mais nous sommes à même de reprendre, sur un rythme moins soutenu qu’auparavant, la diffusion des informations essentielles sur notre activité. Et cette activité est restée intense.

 2. Comment pourrait-il en être autrement ? Le gouvernement continue à démanteler la recherche, la protection sociale, les droits des minorités et les acquis de 20 ans de lutte contre le sida. Aussi éculée soit-elle, c’est l’image du rouleau compresseur qui s’impose. La droite écrase tout, et ignore superbement les résistances qui lui sont opposées. Cette tactique subtile vise à décourager toute mobilisation, elle ne fait que l’entretenir. Les chercheurSEs ou les intermittentEs en sont la preuve. Les militantEs d’Act Up-Paris aussi. On ne peut pas cacher que la lassitude et le découragement nous envahissent à l’annonce de chaque « réforme » détruisant nos droits. Mais c’est toujours la colère qui l’emporte, et la volonté de combattre, sinon pour gagner des victoires, du moins pour éviter le pire et montrer à l’opinion publique que chaque geste du pouvoir en place a des conséquences dramatiques sur nos vies.

 3. Un exemple ? Aux intellectuelLEs luttant pour la sauvegarde de la culture et de la recherche publique, un ministre, Patrick Devedjian, oppose le mépris. « Chez nous, les intellectuels ont l’habitude de signer des pétitions, alors qu’aux Etats-Unis, ils ont des prix Nobel. ». La recherche et le travail intellectuels souhaités par la droite sont ainsi résumés en une petite phrase : des outils au service de la gloriole nationale. Que nous, malades du sida, ayons un besoin vital, Patrick Devedjian, Jean-Pierre Raffarin, Jean-François Mattéi et Claudie Haigneré s’en foutent. Leur politique remet en cause la découverte de nouvelles molécules, la nécessaire recherche sur les effets secondaires ou sur les co-infections avec les hépatites virales. Bref, ce sont notre survie et la qualité de notre vie qui, à terme, sont menacées. C’est quantité négli-geable pour la droite. Voilà pourquoi nous manifestons aux côtés des chercheurSEs et soutenons leur position. Voilà pourquoi depuis des mois nous lobbyons pour que la réforme de la loi Huriet sur les essais cliniques incluent les revendications des malades.

 4. Des décrets s’apprêtent à détruire ce qui restait de l’Aide Médicale d’Etat. Des sans-papierEs malades se retrouvent dans des centres de rétention, privéEs de traitements pendant plusieurs jours, menacéEs d’être expulséEs dans des pays où ils ne pourront pas se soigner. Quand nous les rencontrons pour discuter de ces deux derniers sujets, Jean-François Mattéi et Nicolas Sarkozy refusent toute responsabilité, et estiment qu’à trop défendre la protection des étrangerEs, on risque de créer un appel d’air et de ne plus faire face aux demandes... Des prostituéEs sont traquéEs à la sortie des bus de prévention et jusque dans les locaux associatifs. La suspension de peine n’est encore que trop peu appliquée : Maurice Papon a pu en bénéficier, alors que de nombreux malades voient leur santé se détériorer gravement en détention. Les Etats-Unis et le Maroc viennent de signer un accord commercial bilatéral qui restreint, au-delà de ce qui est prévu par l’OMC, la possibilité de produire et d’importer les génériques. Roche a arrêté la production d’une nouvelle molécule, le T-1249, que les actionnaires ont jugée trop peu rentable. Un autre laboratoire, Abbott, décide de quintupler le prix du Norvir®. Le 100% Sécu, l’invalidité et les prestations qui y sont liées risquent de disparaître. Que devez-vous faire, que devons-nous faire ? Courber le dos en chouinant avec fatalité et cynisme, ou tout entreprendre pour faire obstacle et refuser la position résignée et silencieuse qu’on veut nous assigner ? Avons-nous le choix ?

 5. Dans ce contexte, on aimerait tant que les données épidémiologiques nous rassurent. Il n’en est rien. Le retard pris dans l’affichage des premiers résultats de la DOS ne cesse de nous inquiéter : les chiffres sont-ils si mauvais que les pouvoirs publics rechignent à les diffuser ? Les données disponibles confirment nos pires craintes sur la reprise des contaminations chez les homosexuels et l’explosion de l’épidémie chez les femmes. Les actions d’Act Up devant des établissements de sexe gays parisiens qui refusent d’appliquer les principes élémentaires de la charte de prévention visent, au-delà de la seule dénonciation des responsables de ces clubs, à remobiliser la communauté gay contre le sida. Cette même communauté est pourtant capable de répondre présente quand nous organisons un rassemblement dans le Marais contre l’homophobie et en soutien aux victimes d’agressions, comme Sébastien Nouchet, brûlé vif en janvier dernier. Cette mobilisation doit se perpétrer, et doit concerner la lutte contre le sida.

 6. C’est un même sentiment communautaire qui a parcouru les Etats Généraux « Femmes et sida » organisés par Act Up-Paris, le Planning Familial et d’autres associations de lutte contre le sida. Pour la première fois, des femmes séropositives ont parlé depuis une tribune à d’autres femmes, élaborant une parole collective et des revendications envoyées aux chercheurSEs et aux représentantEs des pouvoirs publics. Alors même que le sida explose chez les femmes et que ses spécificités féminines sont toujours aussi peu documentées, l’emergence d’un discours collectif à la première personne représente une révolution.

 NB. Didier Lestrade, co-fondateur et ancien président d’Act Up-Paris, a sorti chez Denoël son nouveau livre « The End », papmphlet contre la communauté homosexuelle, qu’il juge notamment incapable de lutter contre la reprise des pratiques à risques, les nouvelles contaminations et les discours bareback d’un Rémès ou d’un Dustan. Act Up n’échappe pas à ces critiques. Ces six dernières années, nous n’aurions pas travaillé sur la prévention chez les gays comme nous l’avons fait si Didier n’avait pas été là. Mais le groupe n’a pas suivi toutes ses propositions, notamment celles qui concernait une confrontation directe avec les auteurs bareback.