Accueil > Traitements Recherche > Coinfection VIH/hépatites > hépatite C et alcool, mauvais mélange

Dossier

hépatite C et alcool, mauvais mélange

vendredi 2 avril 2004

Les rencontres 2003 de l’hôpital Sainte Marguerite ont eu lieu à Marseille, les 17 et 18 novembre 2003, et elles étaient intitulées « VIH & foie, Co-infection VIH et hépatites ».

En France, depuis 1998, c’est la première conférence de deux jours intégralement consacrée à la co-infection VIH-hépatites. Celle-ci était sponsorisée par le laboratoire Roche, venu vanter les mérites de sa nouvelle bithérapie anti-VHC prometteuse, commercialisée sous les noms de Pégasys® (peg interféron) + Copegus® (ribavirine).

rappel épidémiologique
Selon l’enquête épidémiologique APPIT-InVS 2001 sur la co-infection VIH-VHC, environ 30 % des séropositifVEs VIH sont aussi co-infectéEs par le VHC.
Les co-infections sont d’une actualité plus que brûlante dans la cité phocéenne. En effet, avec la région Ile-de-France, la région PACA (Provence-Alpes-Cote d’Azur) partage, depuis trop longtemps, le triste record de contaminations virales par injection de drogues, aussi bien pour le VIH que les hépatites B, C, et D. Il n’est alors pas surprenant de constater que le taux de co-infectéEs VIH-VHC, à Marseille comme à Paris, soit de plus de 50 % des séropositifVEs au VIH.

Parmi les participantEs de l’enquête épidémiologique, 40 % au moins des co-infectéEs, étaient déjà en pré-cirrhose (F3-F4), en 2001. Quelles
peuvent être alors les conséquences en termes de mortalité pour des co-infectéEs cirrhotiques, amateurRICEs d’alcool ?

épidémiologie des cirrhoses

En matière de cirrhoses alcooliques, il existe un léger paradoxe d’inégalité Nord-Sud en France, comme l’a présenté Patrick Hillon, à Marseille. En effet, si on trace une frontière allant de Besançon à Limoges, il y aurait chez les alcooliques :
 au Nord, une consommation moyenne de 8 verres quotidiens, avec 46 % de cirrhoses,
 au Sud, malgré une consommation plus forte, de 10 verres quotidiens, seulement 36 % de cirrhoses.
Il faut alors rappeler les facteurs de risques inégaux selon le sexe, puisque c’est à partir de 4 verres par jour (60 gr) que les hommes risquent de développer une cirrhose, et seulement 3 verres chez les femmes, ces dernières ayant un système métabolique plus fragile face à l’alcool. C’est à partir de 100 gr/jour (7 verres et plus) que les risques de cirrhoses, à terme, avoisinent quasiment les 100 %.

buveur ou alcoolo ? usager ou junkie ?

En France, une consommation quotidienne de 4 verres d’alcool passe pour « modérée » et ne définit pas un alcoolisme. Pourtant, c’est à partir de 4 verres d’alcool que cette consommation devient potentiellement toxique pour le foie. On peut en conclure que la plupart des « buveurSEs » présentent un risque de cirrhose. A moins de promotionner un usage réellement occasionnel et récréatif de l’alcool, on pourrait demander à touTEs les patronNEs de bar et de boîte d’avoir une carte de jus de fruit de qualité, afin de bannir le sempiternel jus d’orange « cheap et acide » qui nous fait regretter d’avoir envisagé d’espacer nos cuites hebdomadaires et qui ne fait pas forcément bon ménage avec nos diarrhées médicamenteuses.

Pour tout établissement respectable, une carte digne de ce nom devrait aujourd’hui avoir autant de boissons non-alcoolisées qu’acoolisées, sachant que les recettes de cocktails ne manquent pas. C’est l’occasion de pratiquer sur ces boissons peu coûteuses à l’achat, des opérations de sensibilisation par des prix promotionnels « accrocheurs ».

En matière de drogues, les psycho-stimulants sont aussi des produits fibrosants, et donc potentiellement cirrhosants, notamment la cocaïne et les amphétamines (le speed).

plaisir chez Ladurée

La grande majorité des co-infectéEs ont été contaminéEs d’abord par le VHC, souvent à l’occasion d’une initiation à l’injection d’héroïne dans les années 70-80, de cocaïne ou de médicaments dans les années 90. En France, la substitution aux opiacés n’est toujours pas autorisée si elle provoque du plaisir, comme les sulfates de morphine. Ce tabou réactionnaire et soit disant « thérapeutique », provoque donc en compensation, une alcoolisation importante de bon nombre d’usagerEs de Subutex® ou de méthadone, mais aussi un recours massif à la cocaïne, même injectée, comme l’ont prouvé nombre d’études récentes dans les Centres de soins spécialisés aux toxicomanes (CSST). Ceci est la preuve que la notion de plaisir est à prendre en compte dans le cadre des programmes de substitution, si on ne veut pas les rendre parfois contre-productifs en matière de santé et notamment celle du foie.

À partir de méta-analyses, les délais moyens de
survenue de cirrhoses ont été réévalués de manière plus précise, en fonction des diverses contaminations virales et aussi en fonction des consommations d’alcool. Les durées estimées démarrent suite à la première des contaminations ou au début de la consommation quotidienne d’alcool, même faible :

VHC 43 ans
Alcool 35 ans
VHC + Alcool 29 ans
VIH-VHC 28 ans
VIH-VHC + Alcool 19 ans
VHB-VHD 17 ans

Les facteurs d’aggravation de la survenue de cirrhose alcoolique, médicamenteuse ou virale sont l’âge, le sexe féminin, les excès de fer dans le sang (hémochromatose), le diabète et le surpoids : indice de masse corporelle (IMC) excédentaire supérieur à 25.

Vu le peu de campagne de prévention contre l’alcoolisme en France, il n’est pas surprenant de constater qu’aujourd’hui presque la moitié des personnes coinfectées VIH-VHC soient déjà en cirrhose. Dans la plupart des études, la majorité des malades sont aussi des buveurSEs excessifVEs. Il est alarmant de réaliser qu’aucune campagne ciblée de prévention de l’alcoolisme dépendant chez les usagerEs de drogues substituéEs, les séropositifVEs VIH et les co-infectéEs n’ait été à l’initiative de l’État, voire même du Syndicat national des entreprises gays (SNEG) ! Car ces derniers, sous la pression des associations, avait accepté de se mobiliser sur la question de réduction des risques. Aujourd’hui, à part des plaquettes distribuées, rien n’a été fait.

« raide def ! »

Chez les personnes mortes avec le VIH, les autopsies ont révélé une augmentation alarmante des cirrhoses, même si ça n’était pas toujours la cause du décès. De 10 % en 1987, le taux de cirrhose est passé à 25 % en 1996 ; il pourrait avoir doublé aujourd’hui, sachant qu’au moins les deux tiers seraient des cirrhoses alcooliques. Aujourd’hui, aux États-Unis, la moitié des décès des séropositifVEs au VIH sont dus à des complications de cirrhoses, d’origine virale, alcoolique et/ou médicamenteuse.

En termes de mortalité, les co-infectéEs VIH-VHC ont 5 fois plus de risques de décès que les personnes mono-infectées par le VIH. Une étude française récente a déterminé que l’indice de décès est de 0,8 ‰, pour les séropositifVEs au VHB, et de 14 ‰, pour les co-infectéEs VIH-VHB, soit 17 fois plus.

foie gras de chez NASH

Il existe toutefois une nouvelle cause de cirrhose, découverte récemment et en pleine explosion aux États-Unis : il s’agit des stéato-hépatites non alcooliques (NASH en anglais).

Des amas lipidiques évolutifs (graisseux) se forment parmi les cellules du foie (hépatocytes), accélérant les processus de fibrose. La liste des facteurs de risques est la suivante, sachant qu’il suffit d’en cumuler 3 sur 5 pour être à risque de développer une NASH :
 une obésité abdominale ;
 une hypertension artérielle ;
 des triglycérides élevées ;
 du HDL cholestérol élevé ;
 une glycémie élevée associée à une insulino résistance.

Selon des études de prévision épidémiologiques, les stéato-hépatites pourraient être responsables, dans les 15 années à venir, des 300 000 cirrhoses en France. Il faut rappeler que les estimations prévoient 100 000 cirrhoses en plus liées au VHC, hors traitement « efficace ».

Les facteurs de risques cités plus haut sont ceux rapportés couramment dans les problèmes liés à la séropositivité au VIH, comme les lipodystrophies, les hépatites ou les diabètes. Il s’agit donc de facteurs à surveiller étroitement chez les co-infectéEs VIH-hépatites.

épidémiologie des hépatocarcinomes

Pour les malades porteurSEs chroniques d’hépatite C, on sait qu’après la cirrhose, le risque de survenue d’un cancer est de 3 à 5 % par an. En France, l’épidémie d’hépatite C est la cause de 40 % des cirrhoses, 60 % des cancers du foie et aussi 30 % des greffes.

Les greffes du foie en France ont doublé en deux ans et sont passées de 244 en 1999, à 468 en 2001. Même si de 1980 à 1995, l’incidence des cancers du foie a doublé, il faut quand même rappeler que suite à un traitement par interféron, même sans guérison, le risque de survenue d’un cancer du foie est divisé par dix (0,3 % contre 3%).

Même si, en cas de VHB, il est possible de développer un cancer du foie avant une cirrhose, la meilleure des préventions des hépatocarcinomes reste donc de traiter la survenue de cirrhose (lire Protocoles Hors série, prise en charge extra-VIH).

comment saboter ses produits sans l’aide des activistes ?

Les laboratoires comme Roche et Schering-Plough ont une politique marketing suici-daire puisqu’ils ne vantent que l’effet antiviral des traitements interféron. Ils n’ont défini la « guérison long terme » et le succès d’un traitement d’hépatite virale chronique, qu’en fonction d’une charge virale VHC maintenue indétectable dès le troisième mois de traitement (sur six ou douze mois nécessaires selon le génotype) et jusqu’à six mois après la fin du traitement. Or les résultats préliminaires des études des traitements de VHC à base de peg-ribavirine chez les co-infectéEs font état d’environ 25 à 40% seulement de succès, tous génotypes confondus.

C’est-à-dire, selon ces laboratoires, incompétents dans leur communication vers les co-infectéEs, un échec total de traitement pour les deux tiers ou les trois quarts des co-infectéEs qui ont choisi courageusement d’affronter pendant six mois ou plus (s’ils tiennent !) les lourds effets intolérables de l’interféron ? C’est pourtant faux, comme le prouve l’étude, présentée par Stanislas Pol. Ce spécialiste des co-infections, et par ailleurs fervent défenseur des stratégies anti-fibrosantes, depuis toujours, nous a rappelé que l’interféron n’a pas seulement une activité antivirale VHC, mais aussi :
 une activité anti-tumorale : il diminue par 10 le risque de survenue d’un cancer ;
 une activité d’immuno-modulateur, en stimulant une réponse immunitaire antivirale incomplète, et ce parfois définitivement, dans les cas de guérison du VHC. En effet, l’interféron a la capacité de rétablir la qualité de certaines réponses immunitaires. La baisse de 120 CD4 en moyenne, dans le premier trimestre d’un traitement à base d’interféron laisserait penser le contraire, pourtant le rapport CD4/CD8 est préservé, voire même augmenté pendant ce traitement ;
 une activité antivirale : de nombreux malades ont pu constater cette efficacité sur les verrues (virus EBV ou HPV) et autres virus. Plusieurs essais sont en cours, pour évaluer une éventuelle action antirétrovirale du peg-interféron à haute dose, malgré des résultats préliminaires inquiétants en termes de tolérance ;
 une activité antifibrosante, permettant de ralentir la fibrose, voire de la guérir et même de guérir des cirrhoses. Ce nouveau concept de « régression de cirrhose » dont l’équipe de Stanislas Pol a la primeur, plutôt que d’être un cri de victoire pour les hépatologues, semble être perçu par certainEs, comme un ennemi redoutable.

guérir temporairement le foie, sans tuer le virus !

L’étude sur la réversibilité des cirrhoses porte sur l’effet antifibrosant du peg-interféron en cas d’échec virologique, c’est-à-dire malgré une charge virale VHC toujours détectable et malgré un traitement n’ayant pas réussi à la faire baisser. Il s’agit de vérifier si en termes de lésions du foie, une régression est possible. Le traitement permettrait alors aux malades cirrhotiques de pouvoir attendre quelques années avant de tenter à nouveau un traitement en vue d’une guérison. En effet, même si l’interféron peut faire régresser les lésions en fin de traitement, le fait que le VHC soit toujours présent et se réplique, fait que les lésions risquent de réapparaître à plus ou moins long terme. Pourtant, cela permettrait à des malades de gagner un peu de temps pour vivre sans interféron, même si les laboratoires ne l’envisagent pas du tout comme ça !

L’étude a inclu 153 malades cirrhotiques, porteurSEs chroniques de VHC. Malgré des résultats de guérison du VHC encore limités chez les cirrhotiques, l’échec de traitement antiviral n’empêche pas d’obtenir, dans certains cas, une baisse significative de la fibrose, même si celle-ci reste temporaire du fait de la persistance d’une charge virale présente et active. Des bénéfices histologiques, de guérison de fibrose, permettent donc à des malades de pouvoir patienter encore les quelques années nécessaires au développement de nouveaux traitements, autres que l’interféron.

Les résultats de guérison de fibrose sont exprimés avec le score Métavir définissant 4 stades de fibrose de F1 à F4, ce dernier étant celui de la cirrhose. Donc, six mois après la fin du traitement, sur les 153 cirrhotiques, 15 % ont totalement guéri leurs lésions (F0), 17 % ont régressé en hépatite minime ou modérée (F1 ou F2), 17 % ont pu régresser en hépatite sévère ou pré-cirrhose, et 51 % n’ont pas eu de bénéfices histologiques (régression des lésions du foie).

restez malades et acheteurs !

Pour la moitié des malades que les laboratoires Roche et Schering-Plough considèrent en échec de traitement, nous avons pourtant la preuve qu’ils ont pourtant bel et bien obtenu ce que la médecine et les malades considèrent depuis longtemps comme une guérison, même si elle est temporaire et qu’elle ne permet pas de renoncer à un suivi médical compétent et à des examens fréquents et rigoureux. Une fois de plus, nous dénonçons la bêtise assassine des services marketing des firmes pharmaceutiques, qui ont maintenant besoin que les associations de malades les forcent à reconnaître un avantage médical essentiel d’un de leurs traitements. On aura tout vu !

Les vingt ans de lutte contre le VIH ont permis de révolutionner l’infectiologie et la pratique de la médecine, notamment en créant en 1993, la mesure de charge virale par PCR, afin de contrôler l’efficacité d’un traitement antirétroviral au long terme, en pouvant mesurer le contrôle de la réplication d’un virus chez un malade. Cet outil est à l’origine d’une stratégie de suivi individualisé et d’une prise en charge multidisciplinaire des malades vivant avec le VIH, qui depuis a été largement repris et utilisé pour un suivi plus efficace de la plupart des infections virales.

gare à la cirrhose

Reste que des laboratoires comme Roche et Schering-Plough cherchent maintenant à transformer cet acquis comme la seule et unique référence médicale absolue en matière d’hépatite virale. Leur volonté de transformer un outil et une stratégie révolutionnaire sert comme argument de base d’une mondialisation avide : celle de la charge virale comme seul marqueur absolu d’efficacité d’un traitement, et puisqu’elle vient du sida, c’est forcément une « stratégie dernier cri »... Selon nous, aujourd’hui, une médecine qui se limite à la guerre aux virus, implique aussi une guerre aux labos.

Nous ne laisserons pas le libéralisme mondial, décider à notre place, des bénéfices principaux que nous constatons avec un traitement, si lourd et toxique soit-il. Ce n’est pas les 70 % d’échec qui pourront motiver les malades à se traiter, mais des avantages réels, plus fréquents et plus motivants. C’est ce qui s’appelle faire de la santé publique dans un contexte d’épidémie.