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prodrogues

janvier 2003

Bien comprendre le métabolisme des médicaments et les processus cellulaires qui les conditionnent est un préalable à l’élaboration des prodrogues : composés nécessitant une bio-transformation avant d’exercer un effet pharmacologique.

définition

En anglais, le mot drug signifie d’abord un produit pharmaceutique, un médicament, ensuite seulement un narcotique, voire un stupéfiant, c’est-à-dire l’équivalent du mot français drogue, synonyme de stupéfiant. Suivant les cas, il s’agit de drogue douce ou de drogue dure. Il faut donc avancer prudemment lorsque l’on parle de prodrogue, traduction française du mot anglo-saxon prodrug (définition donnée par A. Albert en 1958).

Tout au long de cet article, le mot prodrogue désignera tout composé destiné à l’usage thérapeutique qui doit subir une bio-transformation, après son administration à un organisme, pour que s’exerce une activité pharmacologique. On modifie ainsi, non pas les propriétés pharmacodynamiques intrinsèques d’une molécule, mais ses propriétés pharmacocinétiques (ou même galéniques).

Prenons un exemple : nous avons tous pris de l’Aspégic®. Ce produit contient de l’acétylsalicylate de lysine. Dans l’organisme, après absorption de ce médicament, il se produit une scission en lysine et en acide acétylsalicylique. Celui-ci est rapidement absorbé et libère l’acide salicylique qui est le principe actif contre la douleur et la fièvre. Dans le cas de cette molécule, l’acétylsalicylate de lysine en l’occurrence, deux étapes sont nécessaires à la libération du principe actif. L’Aspégic®, qui contient uniquement de l’acétylsalicylate de lysine, est une prodrogue.

Une prodrogue peut, comme nous venons de le voir, s’obtenir en liant une molécule active à un groupement temporaire, ce qui donne une nouvelle molécule moins active que le médicament d’origine, ou même inactive. La séparation doit se faire très vite et le groupement temporaire ne doit avoir, par lui-même, ni action pharmacologique ni toxicité.

De nombreuses situations nécessitent le recours aux prodrogues : passer de la formule liquide à la forme comprimé ou inversement, masquer une odeur ou une saveur, résister au milieu stomacal, aux enzymes hépatiques, passer la barrière intestinale, cutanée ou hématoencéphalique, obtenir un effet retard. Il faut parfois aussi modifier le métabolisme et la répartition tissulaire pour diminuer la toxicité. Indépendamment de ce type de démarche, qui débouche sur des analogues simples d’une molécule connue dès le départ, la recherche peut conduire à des structures nouvelles très différentes, ayant simplement une probabilité d’activité thérapeutique voisine. Il faut expliquer tout ça !

actions

Avant d’aller plus loin, il faut revenir sur le mécanisme d’action des analogues nucléosidiques sur la transcriptase inverse. Les molécules de cette classe n’ont aucune activité intrinsèque, elles doivent être métabolisées préalablement en leurs dérivés triphosphatés correspondants, par des enzymes cellulaires (thymidine kinase, nucléotidase etc.). Ils agiront ensuite de différentes manières sur la transcriptase inverse. L’utilisation des analogues nucléosidiques se heurte à un certain nombre de limitations :
 toxicité intracellulaire,
 émergence de résistances,
 pénétration difficile derrière la barrière hémato-méningée,
 excrétion : ils sont éliminés rapidement, ils ont donc une demi-vie courte, ce qui implique une administration fréquente,
 la métabolisation en dérivés triphosphorylés indispensable. Cette dépendance constitue une limitation importante. L’activité de la thymidine kinase, par exemple, est dépendante du cycle cellulaire, donc inconstante. D’autres enzymes sont plus constantes. De plus les analogues nucléosidiques peuvent être de mauvais substrats pour les enzymes impliquées dans cette phosphorylation.

Pour améliorer l’efficacité thérapeutique des analogues nucléosidiques, il a été proposé l’utilisation des prodrogues nucléotidiques (pronucléotides).

Un analogue nucléosidique peut être considéré comme une prodrogue puisqu’il doit, pour devenir actif, être métabolisé en son dérivé triphosphorylé. L’administration directe de ces dérivés triphosphorylés ou de leurs précurseurs semblerait logique pour court-circuiter la limitation due à ces différentes étapes, en fait, leur pénétration dans la cellule est difficile et la présence de phosphatases dans les liquides biologiques, tels que le plasma, conduit à une rapide déphosphorylation.

l’exemple du ténofovir

Pourquoi parler de prodrogues aujourd’hui, début 2003 ? Un antirétroviral récent nous en donne l’occasion : le ténofovir.Le ténofovir, Viréad®, appartient à la classe des analogues nucléotidiques, c’est un nucléotide monophosphate stable, qui comporte un groupement phosphate dans sa structure moléculaire. Il ne nécessite que deux phosphorylations pour être actif. Il est ensuite transformé en métabolite actif par deux enzymes ou kinases présentes à la fois dans les lymphocytes T activés et dans les cellules au repos (lymphocytes T, macrophages, monocytes et cellules dendritiques). Le ténofovir est donc activé dans un grand nombre de cellules infectées (activées et au repos) et il ne subit pas l’effet limitant de la première phosphorylation.

Cette forme active, le ténofovir diphosphate, a une demi-vie intra-cellulaire de 10 heures dans les cellules activées du sang périphérique. Le ténofovir est le premier nucléotide inhibiteur de la transcriptase inverse mis sur le marché pour le traitement de l’infection par le VIH.

stratégies

De nombreux groupes de recherche ont élaboré différentes stratégies, concernant un grand nombre d’agents thérapeutiques, dans le but de se libérer des contraintes de leur utilisation et ceci dans le cas des infections par le VIH et le VHB, lesquelles présentent certaines similitudes. En effet, elles ont toutes les deux une étape de transcription inverse dans leur cycle de réplication.

Ont aussi été étudiés des agents anti-herpétiques, pour aboutir à des formulations orales et de meilleure bio-disponibilité. On voit qu’il ne s’agit pas ici de contes de fées, mais de recherches souvent très longues avant de déboucher sur des progrès réels.

Il y a déjà plusieurs années, le TRT-5 avait rencontré le professeur Jean Louis Imbach de l’Université de Montpellier II. Il avait parlé des travaux réalisés dans son laboratoire, lesquels concernaient les prodrogues. Actuellement, le professeur C. Périgaud continue cette recherche dans le laboratoire de Chimie Bioorganique de l’Université de Montpellier II. Les thèses de doctorat ont pour sujets "Les prodrogues mononucléotides" en 1998, en 2002, les "Analogues nucléosidiques et une approche pronucléotide" ou encore "Chimiothérapies anti-VIH et anti-VHB et approche pronucléotide". Il semble que la voie vers des composés prometteurs soit ouverte. Le relais pour prolonger le développement de ces molécules doit se faire au niveau de l’industrie et éviter que ces travauxne soient inutiles ! On peut s’étonner du peu d’empressement des firmes pharmaceutiques à prendre en charge le parcours terminal.

Des essais sont en cours pour évaluer le GW 433908, une prodrogue de l’antiprotéase Amprénavir. A suivre.


Des mots de ce texte semblent difficiles à comprendre. Ils sont expliqués dans le glossaire d’Act Up. En voici certains pour faciliter la lecture de ce texte ardu. Pharmacologie, pharmacocinétique, nucléoside , nucléotide, enzymes, kinases.....