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nouvelles molécules

janvier 2003

L’histoire des traitements antirétroviraux a démarré en 1986/1987 avec l’AZT. Depuis la découverte de l’agent responsable de l’infection à VIH et donc pratiquement depuis le début de l’épidémie, cliniciens et chercheurs essaient de mettre au point des moyens de soigner les personnes atteintes. Cette histoire des traitements a connu bien des évolutions.

équilibre

Depuis les premières molécules jusqu’aux trithérapies, cette aventure ressemble aujourd’hui à une sorte de course à l’échalote. Principal responsable : le virus qui sait se défendre contre toutes les tentatives d’élimination. Mais c’est oublier que, les traitements n’étant pas suffisants pour éliminer le virus, il a fallu trouver des stratégies qui permettent aujourd’hui de reculer le plus possible l’échéance fatale de la maladie, recherche qui a laissé nombre de malades porteurs de virus devenus résistants. Par ailleurs, la situation actuelle d’un traitement au long cours est fragile et dangereuse. L’observance plus ou moins grande de la thérapie prescrite conduit aussi certains malades à l’échec, les effets indésirables de ces traitements en sont certainement en grande partie responsables. L’usage non encore totalement rationnel des antiviraux conduit certainement aussi à des échappements virologiques.

Pour toutes ces raisons, nous avons toujours besoin de nouveaux traitements. L’industrie a compris cela d’autant plus facilement qu’au prix où elle vend ses médicaments et compte tenu de la sévère concurrence que se livrent les différentes firmes, elle se montre toujours productrice de nouvelles idées et de produits innovants. Pour s’en convaincre, il suffit de voir l’impressionnante liste de molécules à l’étude en 2002, présentée dans le tableau ci-dessous.

Ce tableau montre que la recherche de nouveaux traitements est active. Mais il ne faut pas pour autant se leurrer avec un tableau aussi riche. Bon nombre de ces produits mettront encore de nombreuses années avant d’être disponibles en pharmacie. Certains ne verront d’ailleurs peut-être pas le jour. Mais d’autres sont déjà en essais de phase III et sont proches de la disponibilité pour tous.

redoublement

Petit mémento plus précis sur certaines molécules. Parmi les classes de médicaments déjà connues :

 L’emricitabine fait partie des analogues nucléosidiques. Développé par la firme Triangle Pharmaceuticals et dénommé couramment FTC, c’est un produit comparable à la lamivudine. Dans les essais réalisés jusque-là, cette molécule se montre d’une efficacité assez importante pour un traitement en deux prises par jour. En dernière phase de développement, il sera prochainement commercialisé sous le nom de Coviracil®. À noter tout de même qu’il ne devrait pas être efficace chez les personnes dont le virus a acquis une résistance à la lamivudine (3TC).

 L’amdoxovir (DAPD) est aussi un analogue nucléosidique de la firme Triangle. Actif tant sur la réplication du VIH que du VHB, cette molécule a aussi un profil d’activité contre les virus résistants à l’AZT, au 3TC ainsi qu’aux analogues non nucléosidiques. De manière générale, l’amdoxovir se révèle plus ou moins actif dans bon nombre de schémas de virus résistants aux analogues nucléosidiques. Dans un essai conduit chez des personnes en échappement de traitements associant des analogues nucléosidiques, une baisse de 1,9 log de la charge virale a été obtenue en 15 jours en ajoutant l’amdoxovir aux traitements précédents.

 Le TMC 125, dont les premiers résultats nous avaient été présentés à Athènes (Conférence européenne sur les traitements, octobre 2001) est un nouvel inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse (INNTI) mis au point par une petite firme belge : Tibotec-Virco. Cette molécule a suivi pas mal d’essais dont les résultats ont été présentés au long de l’année 2002 et permettent de reconnaître ici un produit efficace et actif contre bon nombre de virus résistants, notamment à l’éfavirenz et à la névirapine.

 Le DPC 083 est un INNTI de BMS. Les résultats des essais de phase II, proposés à des personnes en échappement d’un traitement comprenant un autre INNTI ou en traitement de première intention, montrent dans les deux cas des résultats encourageants, tant sur le plan virologique que sur celui de la tolérance du produit. Ces essais avaient aussi pour objet de déterminer les doses optimales. Ce produit devrait avoir une persistance suffisante dans le corps pour permettre une seule prise par jour. Essayé aussi chez des personnes en échappement, ce traitement s’est montré efficace chez un grand nombre d’entre elles.

 L’atazanavir est un inhibiteur de protéase en phase finale d’étude clinique. C’est donc un traitement qui devrait être bientôt sur le marché. Sa principale particularité, outre le fait d’être pris une seule fois par jour, est de ne pas perturber le métabolisme des graisses comme les autres inhibiteurs de protéase. Par ailleurs, il s’est montré extrêmement intéressant sur les virus résistants à ces mêmes antiprotéases et, a contrario, on a aussi constaté l’efficacité des autres inhibiteurs de protéase sur les virus résistants à l’azatanavir. Il s’agit donc probablement d’un des produits phares de l’année à venir. Les effets indésirables se sont donc révélés peu présents jusque-là. Une originalité : l’azatanavir provoque une hyperbilirubinémie grave chez 1% des personnes qui ont essayé ce produit, mais qui ne semble pas être associée à une toxicité hépatique.

 Le Tipranavir avance doucement. Cette molécule est dans les tuyaux depuis longtemps. Développé initialement par Pharmacia & Upjohn, il a ensuite été vendu à Boehringer Ingelheim. Ces derniers ont alors repris les études à la base et c’est seulement aujourd’hui qu’il semble enfin émerger. Il s’agit en fait d’un inhibiteur de protéase, assez original puisqu’il utilise des mécanismes nouveaux. Pris avec une dose booster de ritonavir, ce produit a subi déjà bon nombre d’essais dont certains chez des personnes ayant des virus fortement résistants aux antiprotéases (plus de 5 mutations). Il a montré la même efficacité sur des virus résistants aux antiprotéases que sur des virus sensibles à ces mêmes antiprotéases.

 Le TMC 114 est l’antiprotéase de Tibotec-Virco. Cette molécule bénéficie d’un design particulièrement intéressant, puisqu’elle semble rester active dans les sites où elle se fixe, même en cas d’apparition de mutations. Comme beaucoup de médicaments de cette classe, son élimination est assez rapide, donc un traitement en plusieurs prises par jour. La présence de PolyEthylène Glycol (PEG) dans sa formulation est responsable de diarrhées à forte dose. Ces difficultés ont conduit à envisager une fois de plus l’usage du ritonavir comme booster pour améliorer la biodisponibilité du produit à des doses raisonnables.

passage de classe

Les nouveautés concernent essentiellement deux classes de médicaments qui s’attaquent à deux nouvelles cibles et ce, selon des mécanismes différents :

1. Les inhibiteurs d’entrée sont des produits capables de s’opposer aux mécanismes que le virus utilise pour pénétrer dans les cellules qu’il espère infecter. Mais cette classe connaît de nombreuses pistes en cours d’étude, en particulier les inhibiteurs de co-récepteurs, ce qui nécessite quelques explications supplémentaires. En effet, les cellules de l’immunité communiquent entre elles par des protéines particulières, baptisées chemokines. Une cellule va libérer ce type de molécule qui sera captée par un récepteur approprié de la membrane de ses voisines, réalisant ainsi une communication d’information entre elles. Le virus de l’immunodéficience humaine, quant à lui, utilise certains de ces récepteurs aux chemokines comme co-récepteur pour pénétrer dans la cellule cible. Le procédé employé ici par les médicaments n’est pas de s’attaquer à une protéine du virus, mais de se fixer sur les récepteurs aux chemokines, afin que le virus ne puisse les employer. Evidemmen, une des premières inquiétudes des chercheurs a été de savoir s’il n’y avait pas un risque de perturber des mécanismes naturels en opérant ainsi. Cette inquiétude est largement atténuée lorsqu’on sait qu’il existe des personnes qui vivent sans ces fameux récepteurs, sans que ça leur pose de problème particulier. Ainsi, dans les inhibiteurs d’entrée, on a :
 Le T-20 et le T-1249 qui sont des inhibiteurs de fusion. Ils fonctionnent en bloquant le mécanisme d’accroche du virus sur ses cibles. Le T-20 a montré une efficacité particulièrement attendue chez les personnes en échappement ; il est encore en phase d’étude clinique, mais sera prochainement disponible, grâce au procédé des ATU. Les principaux essais de ce produit ont démontré chez des personnes fortement immunodéprimées (70 à 100 CD4 et une charge virale élevée, de plus de 5 log) des résultats encourageants. Le T-1249 est un autre produit, similaire, en phase de développement encore peu avancé. Il devrait se montrer plus efficace que son prédécesseur et devrait même rester actif contre des virus devenus résistants au T-20. Le problème principal de ces deux produits est d’être injectable. Il s’agit d’un mode d’administration fort peu confortable, qui devrait certainement limiter son usage aux personnes en situation difficile. Néanmoins, si leur emploi est délicat et compliqué, ces produits ont révélé jusque-là fort peu d’effets indésirables, principalement des douleurs au point d’injection.
 Le SCH-C, du laboratoire Schering Plough, est une molécule capable de se fixer sur les récepteurs aux chemokines CCR5 que le VIH utilise comme co-récepteur pour entrer dans la cellule hôte. En utilisant ce produit, on empêche la pénétration du virus car il ne trouve plus de ces co-récepteurs disponibles à la surface des cellules. Or ce mécanisme est incontournable. Le virus est donc ainsi bloqué à l’extérieur, où il ne peut survivre, ni surtout se reproduire. Les résultats du premier essai clinique de ce produit, effectué sur un tout petit nombre de personnes, sur une durée très courte (une semaine) et tant sur des personnes saines que sur des malades, a permis de démontrer l’intérêt de ce traitement, qui a été bien toléré jusque-là. Actuellement, ce produit est en phase II.
 L’AMD-3100. Les choses ne sont jamais simples avec le VIH et évidemment certaines souches virales n’utilisent pas le co-récepteur CCR5, mais un autre, le CXCR4. Aussi échappent-elles au traitement précédent. C’est pourquoi une équipe multinationale de chercheurs a-t-elle mis au point et testé cette molécule, antagoniste des récepteurs CXCR4. Il s’agit là aussi d’un petit essai auquel ont participé 40 personnes et qui a permis de démontrer l’intérêt de la méthode. Il reste encore beaucoup de travail en perspective pour arriver à votre pharmacie, mais il s’agit là vraiment de techniques totalement nouvelles.

2. Autre mécanisme  : l’inhibition de l’intégrase. L’intégrase est une protéine fabriquée par le virus, une fois qu’il a déjà pénétré la cellule prise pour cible. Le rôle de cette protéine consiste à intégrer le brin d’ADN fabriqué par la transcriptase inverse dans celui de la cellule hôte, afin qu’elle se mette à produire de nouveaux virus. Les inhibiteurs d’intégrase vont donc avoir un rôle un peu analogue à celui des antiprotéases, c’est-à-dire de se fixer sur l’intégrase de manière à empêcher son fonctionnement. C’est un peu comme de mettre un chewing gum dans une serrure pour empêcher que la clé ne puisse y pénétrer.

Les pistes existantes de ces molécules sont les suivantes :
 Le S-1360 du laboratoire Shionogi. Le Japon se met ainsi dans la course aux antiviraux. Ils se sont associés au géant Glaxo pour la distribution du produit. Des essais préliminaires ont permis de démontrer l’efficacité du produit in vitro et concluent la partie pré-clinique, en donnant maintenant l’accès aux malades pour les essais cliniques.
 Les acides Diketo sont aussi une des pistes suivies pour leur effet anti-intégrase. C’est le laboratoire Merck qui a conduit les travaux expérimentaux sur ce produit. Néanmoins, il ne s’agit pour l’instant que de précurseurs à de nouvelles idées, car les chercheurs n’ont pas encore trouvé la molécule qui possède un profil pharmacocinétique utilisable pour en faire un médicament.

c’est bien, mais

la recherche, comme on le voit, est fructueuse sur le terrain des antiviraux. Mais jusque-là, les pistes poursuivies ne font que produire des molécules capables de bloquer la multiplication du virus. On peut se réjouir de savoir que la source de nouveaux produits ne semble pas tarie, et espérer que, dans un proche avenir, on trouvera le moyen de contrecarrer le pouvoir extraordinaire d’adaptation du VIH, capable d’échapper aux traitements insuffisamment puissants. En revanche, on ne tient pas encore la solution qui permettra de se passer de traitement, c’est-à-dire conduisant à la guérison.