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30 ans de répression = 1 million d’arrestations, 350 000 contaminations, 22 000 morts.

janvier 2001

Le sens commun tient les lois prohibitionnistes pour susceptibles de contenir l’usage de drogues et ses dommages. Pour nous, plus le temps passe, plus nous pensons le contraire : elles n’ont jamais fait que les amplifier. Il est urgent de changer de stratégie.

Il y a trente ans, une loi d’incrimination de l’usage de drogues était votée en France par une poignée de députés - la plupart étaient absents, comme pour le PaCS le 8 octobre 1998.

L’enfer est pavé de bonnes intentions. La genèse de cette loi « relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l’usage illicite des substances vénéneuses », au cours de l’hiver 1970, montre un emballement répressif au fil de sa conception. Au départ, un simple « désir de lo i », une volonté vague encore de contrôler les pratiques et de donner une réponse au problème social que l’usage commençait à poser. Mais à mesure des débats, les positions se durcissent, galvanisées par la reprise en main morale des années 1969-70 et sous la pression des corps de police, confrontés à l’émergence de la « french connection ». A la fin, une loi de « guerre aux drogues » qui réprime tous azimuts le trafic et l’usage, plus durement encore que ne l’exigeaient alors les conventions internationales. On a créé la loi qu’il faut à la police, comme plus tard pour le droit des étrangers. La procédure dite d’injonction thérapeutique, qui permet d’orienter les usagers vers le système de soins plutôt que vers la prison, participe du même esprit répressif, et vise les mêmes objectifs de disparition des « drogues ».

Trente ans après, cette loi est toujours en place. Son volet répressif n’a cessé de se durcir - le dispositif est celui d’une loi d’exception, il a atteint un degré de répression équivalent à celui de la lutte contre le terrorisme. Les circulaires qui tentent, régulièrement, d’en assouplir l’application, sont loin d’en entamer ni l’esprit, ni le poids.

Tout a été dit sur la prohibition, depuis longtemps : sur les problèmes sanitaires posés par la circulation de produits frelatés ; sur la précarité sociale et économique dans laquelle plonge l’approvisionnement sur le marché noir ; sur l’impossibilité d’apporter des réponses sanitaires efficaces aux problèmes liés à la consommation, dans des contextes de répression et de poursuite judiciaire des usages.

Chaque année cependant, le calendrier électoral et le souci de ménager une opinion publique identifiée aux besoins du législateur (ceux d’un équilibre imposé, avant tout, par des conventions internationales violemment prohibitionnistes), empêchent de reposer sérieusement la question du cadre légiférant l’accès aux drogues.

Un bilan doit pourtant être fait. Prétendre, comme le fait Nicole Maestracci, que « le débat prohibition/ non prohibition est dépassé », c’est faire insulte aux morts, aux malades et aux prisonniers. Depuis 1970, les usagers de drogues ont subi en France, à la faveur de cette législation :
 22 000 morts de surdoses et du sida,
 350 000 contaminations par les virus des hépatites B et C, et/ ou du sida,
 1 million d’arrestations,
 des centaines de milliers de condamnations, dont la moitié à des peines de prison ferme.

Des milliards de francs sont consacrés à la répression chaque année. Dans le même temps, les quelques sources dont on dispose montrent que le nombre d’usagers de substances illicites ne cesse d’augmenter. La répression ne sert à rien, qu’à augmenter les risques liés à l’usage des drogues, pour dissuader de les consommer. Mais cette spirale nous a déjà menés trop loin. Il faut en sortir.

30 ans de dégâts sanitaires

Censée protéger des dangers liés à la consommation de drogues, la prohibition ne cesse de mettre en danger leurs usagers, expérimentateurs ou réguliers, comme il y en a toujours eu dans toutes les sociétés. En favorisant la circulation de produits frelatés. En entravant la diffusion d’informations et de conseils d’usage. En perturbant sans cesse les programmes de prévention et de soins.

En 30 ans, 7 000 usagers au moins sont morts de surdoses.

Le nombre d’accidents mortels liés à l’usage de drogues est difficile à évaluer. De 1971 à 1999, l’OCRTIS déclare officiellement 6 121 décès par overdoses en France, 1994 constituant l’année noire avec 564 décès, avant que le chiffre chute de 75% en 4 ans, pour passer à 143 en 1998. Mais la définition des termes (overdoses, surdoses, empoisonnement, intoxication, etc.) varie avec les sources utilisées et le détail des chiffres, catégorie par catégorie, laisse entendre que les accidents résultant d’interactions médicamenteuses (drogues récréatives + traitements divers) ou de surdoses de médicaments (benzodiazépines et produits de substitution) n’y sont pas tous inclus.. Ce flou sur la définition des termes et la comparaison avec les pays voisins (de 1985 à 1997, l’Italie déclarait un nombre d’overdoses 3 fois plus élevé, et l’Allemagne et la Grande-Bretagne des chiffres 4 et 5 fois supérieurs à ceux de la France), laissent penser que les déclarations françaises sont largement sous-estimées.

Trop d’usagers sont morts de ne pas avoir su ce qu’ils absorbaient, ou de ne pas avoir été informés des précautions à prendre et des interactions possibles entre les substances qu’ils consommaient. La principale cause des overdoses reste en effet l’ignorance, imposée par les incertitudes du marché ou par l’absence d’informations. Elles résultent dans la plupart des cas :
 de l’utilisation de produits plus concentrés qu’à l’accoutumée, la composition des produits variant sans crier gare, sur le marché noir,
 de l’absorption d’une dose « habituelle », par des sortants de prison ou de tout autre période de sevrage plus ou moins imposée (séjour à l’hôpital, placement en structure psychiatrique, etc.), non avertis de la diminution de la tolérance aux produits après une période d’abstinence,
 d’interactions ignorées des usagers, entre drogues et médicaments, l’alcool restant le produit majorant sans doute le plus ces interactions : lorsque certains produits agissent en synergie, leur toxicité propre est en effet potentialisée,
 d’intoxication par des produits de coupage, difficilement identifiables mais omniprésents sur un marché prohibé,
 ou encore d’interactions, en cas de consommation de drogues à des fins récréatives et de traitement médical : en 1996, un malade du sida sous antiprotéase est décédé des suites d’une interaction majeure avec de l’ecstasy. L’antirétroviral aurait boosté le MDMA à 20 fois la dose réellement consommée.

Administrés à temps, certains produits (comme le Narcan‚), permettraient par ailleurs d’éviter un décès en cas d’overdose, mais ils ne sont pas directement accessibles aux usagers en France.
Les usagers de drogues ne sont pas inconscients ou suicidaires, comme le veut le sens commun. Ils sont mal informés, et privés de moyens d’intervention efficaces en cas de danger.

En 30 ans, 35 500 usagers ont été contaminés par le VIH par échange de seringues. 11 000 sont morts.

On estime à 18 500 environ les usagers séropositifs, et à 6 000 les usagers vivants au stade sida aujourd’hui (estimation basée sur les personnes suivies à l’hôpital). En dix ans de lutte contre le sida, la prévalence officielle du VIH chez les usagers de drogues injecteurs fréquentant le système de soins a été divisée par deux (40% en 1987 ; 20% en 1997), pour l’essentiel grâce aux projets associatifs pilotes. Mais sur les 35 500 usagers contaminés par voie intraveineuse depuis le début de l’épidémie, 11 000 sont morts.

Les usagers de drogues contaminés par voie intraveineuse constituaient en l’an 2000 la population ayant le mieux intégré les messages de prévention, dans lequel la proportion des personnes ignorant leur séropositivité quand elles déclarent un sida est en baisse constante (de 1999 à 2000, 20% à 17%). Les usagers ont prouvé avec le VIH qu’ils étaient capables de gérer des risques et d’adopter des comportements de prévention adaptés, à condition d’être suffisamment bien informés.

L’épidémie s’est pourtant développée d’abord à la faveur de la prohibition - c’est à dire de la précarité sociale imposée aux usagers, comme des réticences des pouvoirs publics à admettre la priorité des exigences de santé sur celles de la répression. La mise à disposition immédiate de seringues stériles partout, y compris en prison, aurait pu éviter au moins 15 000 contaminations entre 1984 et 1987.

La prison par ailleurs, avec ses 30% d’usagers, un taux de prévalence du VIH quatre à six fois supérieur à l’extérieur, et l’absence totale de programmes d’échange de seringues (bien que l’Administration Pénitentiaire ait fini par reconnaître en 1996 qu’existaient des usages de drogues par voie intraveineuse en prison), reste un lieu à haut risque de contaminations.

260 000 usagers au moins ont été contaminés par le VHC, et 75 000 par le VHB. 3 750 en sont déjà morts.

En 1999, 40% des séropositifs VHC dépistés déclaraient avoir été contaminés suite à une injection de drogues, parfois unique. Les dernières prévisions épidémiologiques évaluant à 650 000 le nombre de personnes touchées en France par le VHC, on peut estimer à 260 000 environ (40%) les usagers de drogues touchés par le VHC. Dans les centres de soins spécialisés, la prévalence VHC des usagers de drogues par voie intraveineuse est de 70 à 90%. Compte tenu par ailleurs de la virulence extrême du VHB et de modes de contaminations identiques à ceux du VHC, on peut considérer que les usagers de drogues représentent au moins 50% des 150 000 personnes officiellement contaminées par le VHB.

Le nombre de cirrhoses causées par des hépatites s’élèverait aujourd’hui à 40 000, et celui des cancers du foie qui y sont liés à 2000. En 1997, 54 greffes ont été faites suite à une cirrhose VHC ; en 1999, 98 ont été réalises (soit une augmentation de 74% en 2 ans). De 1980 à 1999, on comptait 4 530 décés consécutifs à une hépatite virale chronique ; 3 750 (50%) auraient été contaminés à l’occasion d’usages de drogues.

Jusqu’à présent l’Etat n’a jamais daigné parler des hépatites que du bout des lèvres, mais la situation est extrêmement grave. Les épidémies d’hépatites sont loin d’être contrôlées.

Elles représentent un risque énorme, notamment pour les usagers de drogues. Beaucoup plus transmissibles par injection que le VIH, les virus des hépatites B et C sont aussi transmissibles par une paille échangée lors d’un sniff. Ils peuvent par conséquent toucher des usagers ayant juste expérimenté l’injection, ou ceux qui ont fait le choix du sniff. Si rien n’est fait, la cocaïne, produit phare actuellement, majoritairement sniffé par les usagers récréatifs, deviendra le vecteur principal des hépatites chez les usagers de drogues, tout comme l’héroïne a pu être celui du VIH.

Il faut croire en effet que les erreurs du passé doivent être répétées : la seule campagne officielle de prévention des hépatites réalisée jusqu’à présent n’évoque à aucun moment les risques de transmission par la paille. Du matériel de prévention commence à circuler à l’intention des sniffeurs, mis au point par des usagers et testés dans des associations pilotes de la réduction des risques. Mais sa diffusion n’est toujours pas envisagée par l’Etat.

22 500 usagers sont co-infectés par le VIH et une ou plusieurs hépatites.

Dans le groupe des séropositifs au VIH, la moitié des personnes coinfectées sont des usagers de drogues (50%). Dans celui des usagers de drogues séropositifs au VIH, 80% sont coinfectés par le VHC, et 15% au moins par le VHB. On ne connaît pas les chiffres de mortalité liée à la coinfection, mais la gestion simultanée de deux maladies susceptibles d’interférer est excessivement complexe, et les lésions hépatiques compliquent souvent considérablement l’équilibrage des traitements. Aucun coinfecté n’a pu encore avoir accès à une greffe du foie, aujourd’hui inaccessible en France aux patients VIH.

Face à la complexité des hépatites, et notamment des coinfections VIH/hépatites, l’Etat n’a jamais mis les moyens qu’on serait en droit d’attendre.

Peu d’usagers de drogues par ailleurs pourront bénéficier d’une prise en charge efficace en matière de coinfection : les traitements des hépatites sont inaccessibles aux usagers de drogues actifs, et ceux qui ont recours aux produits de substitution comblent souvent le manque de sensations procurées par le Subutex ou la Méthadone par une consommation d’alcool qui aggrave les lésions du foie, tout en les excluant eux aussi de l’accès aux traitements.

La substitution, une fausse solution.

En l’an 2000, on évaluait à 122 000 environ le nombre total d’usagers sous traitement de substitution aux opiacés légaux : 110 000 recevaient du Subutex, 10 500 de la méthadone, 1 500 des sulfates de morphine environ.

La diffusion massive de Subutex en France a permis de limiter la mortalité liée à l’usage d’héroïne frelatée (-75% de 1994 à 1998). Elle a permis aussi d’améliorer l’accès aux soins des usagers, en incitant les médecins généralistes à leur ouvrir leur porte. Mais la substitution a des effets pervers.

Le tout substitution, d’abord, semble avoir éclipsé le reste. Focalisé longtemps sur les « héroïnomanes », le dispositif de réduction des risques tend à se focaliser maintenant, par impuissance ou par ignorance, sur des objectifs de « soin de la toxicomanie ». Des outils de réduction des risques (seringues à 2cc, acide citrique, etc.) disparaissent au passage, des « Boutiques » d’accueil d’usagers ferment, les budgets associatifs sont sabrés, la prévention est bâclée - on néglige, comme par le passé, les problèmes sanitaires, préférant « lutter contre la drogue ».

Trop souvent pensée comme un outil de contrôle chimique, la substitution tend d’autre part à transposer les problèmes, plutôt qu’à les résoudre - tout en supprimant le plaisir au passage. Les sevrages de méthadone ou de Subutex, lorsqu’ils sont envisagés, sont plus aléatoires et pénibles que ceux de l’héroïne. La dépendance aux institutions est insupportable à beaucoup d’usagers. Avec la mise sur le marché d’opiacés légaux non injectables, les complications sanitaires se multiplient (l’injection de Subutex provoque des abcès pouvant aller jusqu’à l’amputation). Sous substitution, et plus encore lorsqu’ils sont soumis à de fréquents tests urinaires, les usagers consomment de l’alcool (particulièrement dangereux en cas d’hépatite), des médicaments détournés et des drogues de synthèse dont les effets et les risques sont mal évalués, pour échapper aux sanctions. Le seul risque que la substitution limite véritablement est la délinquance - la société paraissant surtout préoccupée de se protéger elle-même.

Partagée entre ses ambitions de soin et ses fonctions de contrôle, la substitution est au fond comme la loi : elle court après les usagers. Elle ne pourrait présenter de sens thérapeutique que véritablement choisie - dans un système où la prohibition ne viendrait plus les conduire à inventer des défonces moins coûteuses, au plan pécuniaire comme au plan pénal.

30 ans de répression sans autre but qu’elle-même

C’est un lieu commun économique : la prohibition, par définition, dope et fait fructifier le commerce illicite. Elle échoue par conséquent à faire disparaître les marchés prohibés (à « réduire l’offre et la demande », comme le veut aujourd’hui le langage officiel). Son seul effet est d’appauvrir les usagers, de les précariser et de les exposer sans cesse à de nouveaux risques.

En 30 ans, 1 million d’usagers de drogues ont été arrêtés.

De 1972 à 1999, on compte 966 307 interpellations pour infraction à la législation sur les stupéfiants (ILS). Le nombre d’interpellations a été multiplié par 40 (2 592 en 1971 ; 95 910 en 1999) et celui des arrestations pour usage simple par 120 (700 en 1971 ; 80 037 en 1999). De 1990 à 97, on distinguait parmi les 362 000 interpellations pour usage simple, 275 000 fumeurs de cannabis (76%), 83 000 consommateurs d’héroïne (23%), 7 000 de cocaïne (2%), 4 500 d’ecstasy (1,3%). Pour la seule année 1999, la part des usagers de cannabis interpellés augmente encore : 87% des 90 404 interpellations pour usage simple ou usage-revente les concernaient.

110 000 usagers ont fait l’objet de procédures d’injonction thérapeutique.

73 243 injonctions thérapeutiques ont été prononcées de 1971 à 1997 ; les années 1984, 85, 89 et 91 ne sont pas documentées, mais la courbe des variations annuelles permet d’estimer à 110 000 environ le nombre d’injonctions thérapeutiques prononcées en 30 ans. Prescrivant l’obligation de soin, cette mesure permet d’abandonner les poursuites judiciaires ou de les suspendre à l’exécution d’une requête (dite « de sursis avec mise à l’épreuve »). Elle peut aussi être requise lors d’une instruction judiciaire ou d’une libération conditionnelle.
Sur les centaines de milliers de condamnations prononcées, près de 50% ont donné lieu à de la prison ferme

Les sources consultées ne permettent pas de cumuler les chiffres sur l’ensemble de la période 1970-2000. On peut cependant raisonner sur 5 années, de 1993 à 1997, pour lesquelles les données sont clairement établies (source : Annuaire statistique de la justice, 1993-97), sachant que les chiffres restent relativement stables, de 1990 à 1999. Les 111 591 condamnations prononcées pendant ces 5 années permettent d’extrapoler l’importance du nombre total de condamnations depuis le vote de la loi, qui se tient probablement dans une fourchette de 400 000 à 500 000 condamnations.

Entre 1993 et 1997, la peine la plus souvent retenue est celle de la prison ferme ou assortie d’un sursis partiel (48% des condamnations, soit 53 165 cas en 5 ans). Les peines d’emprisonnement avec sursis total concernent 36% de l’ensemble des condamnations (40 338 cas). 11% des infractions sont sanctionnées par des amendes (11 879 cas). Les peines de substitution (travaux d’intérêt général, jours amendes, etc.) et les mesures éducatives concernent environ 5% des cas (5 472 cas sur 5 ans).

Depuis 30 ans, la politique des drogues est conduite en France par des objectifs policiers. Arrestations avec garde-à-vue pouvant durer jusqu’à 96 heures (on est dans un régime de loi d’exception) ; injonctions thérapeutiques articulées à des logiques répressives ; amendes mettant en danger des équilibres financiers déjà précaires (depuis 1997, 90% des interpellations pour ILS concernent des moins de 30 ans, plus de 50% étant sans emploi et 17%, des mineurs) ; emprisonnements achevant de mettre en danger, physiquement, psychologiquement, socialement, les usagers... Tout est en place pour nourrir la spirale : désocialisation d’un côté, répression de l’autre, le filet se referme.

Les injonctions thérapeutiques échouent pour la plupart. On ne saurait s’en étonner : il est acquis désormais que seul un suivi médical ou un traitement librement choisis sont susceptibles de porter des fruits.

Les amendes appauvrissent encore les plus pauvres - elles précarisent les usagers en position déjà difficile, les empêchant parfois longtemps de retrouver un équilibre social et financier. Lorsqu’elles ne contraignent pas simplement à retourner aux trafics illicites.

Trop souvent, la prison génère la violence. Elle prépare à la délinquance ; quand elle ne rend pas malade, ou tue tout simplement (la tendance au suicide est 10 fois plus élevée chez les usagers dépendants incarcérés que dans la population générale).

Qu’on n’essaie pas de nous faire croire le contraire : arrestations, injonctions thérapeutiques, mises à l’amende ou incarcérations ne cherchent ni à « guérir » les usagers de drogues, ni à les « protéger d’eux-mêmes », ni à prévenir des dangers auxquels ils s’exposeraient. Les Parlementaires des Commissions d’enquête sur la situation des prisons françaises l’ont bien compris l’été dernier, lorsqu’ils concluaient dans leurs rapports que « la prison n’est pas un lieu où l’on guérit de la drogue », et s’interrogeaient, au vu du nombre de récidives, sur l’utilité de ce cadre de « rappel à la loi » et de sanction. Elles n’ont d’autre visée que la répression et sa réaffirmation.

D’un côté, les lois de prohibition alimentent le désordre, à chercher à contrer l’accès aux drogues par tous les moyens : elles stimulent la circulation de produits frelatés, invitent à chercher la défonce du côté des médicaments, poussent à entrecroiser de façon indémêlable trafics mafieux et stratégies d’achat des consommateurs. De l’autre, le dispositif de répression tombe à bras raccourcis sur des consommateurs, qui n’ont d’autre tort que de vouloir expérimenter des substances psychoactives, de façon plus ou moins régulière, ou de s’être « accrochés » à elles. La répression s’alimente ainsi sans fin.

Conclusion

Nous ne sommes pas naïfs. Le statut légal des produits ne règle certes pas tout. Un changement de législation ne pourra s’épargner une réflexion approfondie sur les modalités de mise à disposition des drogues. Mais la prohibition nous a fait payer un tribut suffisamment lourd. Il faut en sortir.

La « réduction des risques » a permis des avancées indéniables. Le nombre d’overdoses a chuté ; l’accès aux soins s’est considérablement amélioré ; les usagers sont en règle générale bien mieux informés. Mais elle bute aujourd’hui sur les limites imposées par la prohibition : la logique répressive contredira toujours les préoccupations sanitaires ; et nul ne peut prévenir des accidents liés aux dosages ou aux interactions entre substances, dans un système qui génère l’instabilité des produits et organise l’ignorance des usagers. Réduire les risques aujourd’hui, c’est légaliser les drogues, toutes les drogues. C’est se donner les moyens de traiter la question des psychotropes de bout en bout : de la fabrication à la consommation ; du contrôle de la composition des produits jusqu’aux conseils d’usage.

Les usagers sont bien placés pour le savoir : le débat prohibition/non prohibition n’est pas « dépassé ». Il est pleinement d’actualité. Aujourd’hui l’ignorance de la composition des produits tue toujours. Les entraves mises à la liberté d’expression ont détruit au fur et à mesure des années les savoirs liés à l’usage. L’absence de recherche sur les interactions entre produits légaux et illégaux met en danger. Le dispositif de soin et de prévention continue de traîner les pieds, incapable de suivre l’évolution des consommations et d’assister les usagers dans leurs expérimentations. Aujourd’hui, on est encore humilié, insulté, incarcéré pour avoir utilisé des drogues. Un simple désir de fête peut se réverser en horreur.

La France brille par son retard, et par son obstination. Depuis dix ans, les pays européens essaient de sortir du tout répressif. Les Pays-Bas, la Suisse, l’Espagne, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, le Portugal, la Belgique aujourd’hui, expérimentent des façons d’y échapper, parfois même de nouvelles formes de contrôle et d’accès aux produits. En France, le débat n’est même pas entamé. Les rares promesses s’envolent face aux échéances électorales. La police et la justice se chargent en revanche de faire appliquer la loi. On emprisonne toujours. On continue de faire taire les usagers. En ce mois de janvier 2001, la Belgique dépénalisait la consommation de cannabis, la Grande-Bretagne annonçait des essais sur le cannabis thérapeutique, l’Italie débattait sur le statut des drogues « douces »... en France, un procès était intenté à un libraire de Boulogne-sur-mer au titre de l’article L-630, pour avoir mis en vente un livre traitant de l’auto-production de cannabis.

Où sont les députés ? La Gauche plurielle gâche une opportunité historique de s’attaquer à ce dispositif ultra-réactionnaire. Le PS est absent - incapable même de défendre une Boutique d’accueil d’usagers de drogues menacée par ses riverains. Le PC a consenti sans peine à l’idée selon laquelle « prohibition ou non, le débat est dépassé ». Et que les Verts restent à ce point timorés sur la question est incompréhensible. Une fois de plus, les députés s’apprêtent à faire payer aux usagers le prix de la prudence électorale. La lâcheté politique est intolérable.

1 million d’arrestations, 350 000 contaminations, 22 000 morts : Act Up-Paris tient l’Etat et ses parlementaires pour responsables de cette catastrophe.


L’essentiel des chiffres cités dans ce dossier est tiré de données publiées ou mises à disposition sur leurs sites web par les organismes suivants :
 InVS (Institut National de Veille Sanitaire) ;
 MILDT (Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et la Toxicomanie) ;
 Ministère de la Justice ;
 OCRTIS (Office Central pour la Répression du Trafic Illicite des Stupéfiants) ;
 OEDT (Observatoire Européen des Drogues et Toxicomanies) ;
 OFDT (Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies) ;
 ORS (Observatoire régional de santé) Ile de France ;
 SNIP (Syndicat National de l’Industrie pharmaceutique).