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Greffe de foie : quelles stratégies adopter ?

60 aujourd’hui, combien demain ?

dimanche 23 mars 2003

Selon la cohorte européenne Eurosida, en 2000, 50% des décès des séropositifs VIH sont dus à des problèmes hépatiques (hépatite virale ou médicamenteuse, infection opportuniste, tumeur, problème auto-immune, consommation élevée ou surdose d’alcool et/ou de stupéfiants,etc.). Nous n’avons d’autres choix aujourd’hui que d’envisager, au pied du mur, le challenge d’une greffe du foie.

la greffe, une équation immunitaire

La compatibilité d’un donneur et d’un receveur est établie principalement à partir du groupe sanguin et du système HLA, dit système d’histocompatibilité. En théorie, une fois ces examens concluants, il est envisageable de recevoir un greffon d’origine humaine. Tous les patients susceptibles d’être greffés sont envoyés vers un centre de greffe pour y subir un bilan médical complet afin d’évaluer la faisabilité et les bénéfices en terme d’espérance de vie. Hormis la cause principale de la greffe, il faut d’abord résoudre tous les autres problèmes de santé, même bénins, dont l’aggravation subite, due à la greffe ou à l’initiation des traitements nécessaires, pourrait compliquer, voire compromettre l’opération et son résultat.

Le système immunitaire est chargé de reconnaître les éléments appartenant à notre corps (le soi) et de les différencier des éléments extérieurs ou inconnus (le non-soi). C’est ce qui lui permet de mettre en place une réponse pour attaquer, voire détruire les agents externes responsables de maladies potentielles. Dans certains cas (codage génétique déficient, maladie, etc.), il arrive que le système immunitaire ne reconnaissant plus l’un des organes du corps, se mette à le détruire, comme s’il s’agissait d’un élément étranger. C’est ce qu’on appelle des réactions ou maladies auto-immunes, notre immunité se retournant contre nous-mêmes.

Pour réaliser une greffe, il faut d’abord résoudre le contrôle de cette différentiation du "soi" et du "non-soi", ainsi que la réaction immunitaire associée. Car si le système immunitaire perçoit un greffon comme n’appartenant pas à son hôte, il l’attaque et peut le détruire en un temps record. C’est ce qu’on appelle un rejet. Pour empêcher cette réaction immunitaire, on a recours à des traitements immunosuppresseurs, dont le rôle est d’empêcher ou de contrôler la réponse
immunitaire. Mais, suite à une greffe, chez certains patients, le système immunitaire tolère très bien le greffon, si bien que les traitements immunosuppresseurs peuvent alors être diminués, voire même arrêtés. Il s’agit généralement de pause de traitement, à l’image des interruptions envisagées de plus en plus pour les antirétroviraux VIH.

Avec l’évolution récente des traitements immunosuppresseurs, des différentes combinaisons et dosages, les immunologistes ont réussi malgré tout à préserver certaines réponses immunitaires spécifiques. Cette étape a permis d’envisager d’un point de vue théorique, la prescription concomitante d’un traitement immunosuppresseur et d’un traitement antirétroviral. Nous ne sommes aujourd’hui qu’à l’aube de ces savoirs et des essais thérapeutiques, chaque étape est une découverte qui bouleverse les connaissances et les références et qui permet aux équipes soignantes d’inventer des pratiques spécifiques en matière de greffe pour les coinfectés VIH-hépatites.

les preuves de l’expérience

Les greffes du foie effectuées dans les années 80 ont été l’occasion d’expériences dramatiques. Les tests de dépistage du virus ignoraient le risque d’indétectabilité chez les donneurs d’organes et restaient peu efficaces durant la fenêtre virologique et sérologique. Quelques rares personnes ont ainsi subi une greffe du foie à cause d’une hépatite et ont appris ensuite leur contamination par le VIH. Les équipes des centres de greffe se sont donc retrouvés involontairement face à leurs premier cas de coinfection VIH-hépatites post greffe. Ils ont alors constaté que si, comme pour les monoinfectés VHC, le greffon pouvait rapidement être réinfecté par le VHC, l’aggravation en cirrhose pouvait par contre être fulgurante. Aujourd’hui, la plupart des coinfectés greffés reçoivent un traitement préventif de la récidive d’hépatite virale, visant à rendre la charge virale de l’hépatite indétectable.

En décembre 2001, un anglais coinfecté a développé une cirrhose quatre mois après sa greffe. Il s’agissait de la première hépatite cholestatique fibrosante constatée en cas de coinfection VIH-VHC. Ce scénario était connu, mais uniquement en cas de coinfection VIH-VHB, les traitements antiviraux VHB provoquant à terme des résistances, puis des échappements. Or après une greffe du foie, si la charge virale VHB remontait, le risque de voir apparaître une hépatite cholestatique fibrosante exposait le patient à une dégradation rapide du foie.

Cependant, le cas d’un patient français a ouvert un autre débat. Cet homme atteint d’une hépatite C a bénéficié dans les années 80 d’une greffe du foie qui l’a contaminé par le VIH. Suite à la greffe, refusant de prendre la batterie de traitements qu’on lui proposait (antirétroviraux VIH, immunosuppresseurs et antiviraux hépatites), il a vécu « sereinement » une douzaine d’années après la greffe. Il est décédé il y a peu de temps.
Ces contaminations provoquées par les greffons peuvent maintenant être écartées, grâce à l’utilisation de tests génomiques plus sensibles (PCR-TMA, Transcription Mediated Amplification). Depuis septembre 1999, l’AFFSaPS a agréé ces tests, utilisant des techniques plus précises, permettant de dépister de manière plus fiable tous les dons biologiques.

interactions des risques

Les traitements immunosuppresseurs, tels que la cyclosporine, le tacrolimus et le sirolimus sont métabolisés par le cythochrome P450. Le métabolisme est un système à base de protéines qui organise les réactions biochimiques aboutissant à la synthèse (assimilation) ou à la dégradation (élimination) des molécules. Présents au niveau de l’intestin et du foie, les cytochromes P450 métabolisent plus de la moitié des substances utilisées par l’organisme humain. La difficulté dans le cas de greffes chez des personnes infectées ou coinfectées par le VIH et/ou les hépatites est que les traitements immunosuppresseurs sont métabolisés par les mêmes systèmes que les antiprotéases. Les risques d’interactions pharmacologiques sont donc multiples et complexes.

L’utilisation des antiprotéases VIH nous a appris l’importance du bon dosage pour maintenir une immunité efficace, élément d’autant plus important en cas de greffe. Or le taux plasmatique des immunosuppresseurs doit rester suffisant pour éviter le rejet du greffon, mais il ne doit pas être trop important au risque de provoquer un effondrement immunitaire qui aurait pour effet une flambée du VIH.

Les spécialistes ont constaté que selon les antiprotéases prescrites, les immunosuppresseurs pouvaient ainsi être boostés ou diminués jusqu’à 25 fois la dose de départ. Il a donc fallu réapprendre la prescription des immunosuppresseurs à des doses très inférieures. Cependant les analogues non-nucléosidiques ne provoquant pas d’interactions croisées avec les immunosuppresseurs, permettent de travailler à des dosages classiques.

préalables

La greffe ne règle donc pas tout. Il y a même de quoi être inquiet en réalisant qu’un foie sain et naïf de toute infection virale chronique a tout juste le temps de faire connaissance avec son nouvel hôte et de prendre ses marques virales avant d’être contaminé par les virus du nouveau receveur (VIH, hépatites), tout en recevant, dans le même temps, une panoplie de traitements hautement agressifs. Le métabolisme du receveur est pourtant rodé depuis longtemps aux exercices complexes : malgré une cirrhose du foie aggravée, les antirétroviraux ont pu être métabolisés pour arriver à stabiliser l’infection à VIH. Or, les antirétroviraux ne sont pas si simples à métaboliser et le VIH encore moins aisé à contrôler sur la durée avec une cirrhose du foie.

Un grand nombre de patients coinfectés arrivent encore trop souvent aujourd’hui dans les centres de greffes, avec une décompensation hépatique avancée, forçant leur admission en liste de super-urgence. Les équipes de greffes hépatiques et Transhépate, fédération française des greffés du foie, ont démontré depuis longtemps que l’éducation du patient et de l’entourage est une étape capitale garantissant les meilleures chances de survie à 10 ans. Il ne faut pas négliger les situations à moindres risques, comme le fait d’être sous analogues nucléosidiques, ces antirétroviraux présentant moins de risques d’interactions que les antiprotéases.

En termes de délais, il est très important de signaler les possibilités de greffe à tout patient coinfecté dès l’apparition d’une cirrhose (F4), sachant que chez les coinfectés, « fibroseurs » rapides, le score Métavir F3, de pré-cirrhose, est l’indication d’un développement qui peut être très rapide : un an. Une fois la cirrhose installée, les premiers épisodes de décompensation modérée peuvent survenir dans la première année. C’est à ce moment décisif, que le patient doit s’inscrire en liste d’attente, car il faut encore compter six à huit mois environ pour que la greffe puisse avoir lieu.

épidémiologie

Selon la dernière enquête VIH-VHC hospitalière française en 2001, 28% des 100 000 séropositifs VIH suivis à l’hôpital seraient coinfectés par le VHC, soit environ 30 000 coinfectés VIH-VHC ; 70% d’entre eux auraient déjà bénéficié d’un ou de plusieurs traitements anti-VHC (40% interféron + ribavirine et 40% peg-interféron + ribavirine). 70% des coinfectés ont un génotype VHC mauvais répondeur au traitement. L’hépatite active est plus fréquente chez les plus jeunes (modérée-F2, sévère-F3 ou cirrhose-F4). Elle a été mentionnée pour 61% des 45 ans et plus, et pour 87% des moins de 35 ans. 40% des coinfectés seraient au stade sida, soit 12 000 coinfectés sida-VHC. 16% des coinfectés VIH-VHC étaient déjà en cirrhose en 2001, soit environ 5 000 patients. La cirrhose est souvent associée à un taux de CD4 inférieur à 200/ml.

Cette enquête a déjà été réalisée en 1999 et en 2000. En comparant ces trois années d’études afin de voir les progressions, il a été rapporté : une augmentation des taux de CD4, alors que la proportion des patients au stade sida reste stable (40%). En 1999, 41% des patients ont pu bénéficier d’un génotypage VHC, contre 58% en 2001. En 1999, 43% des patients ont pu bénéficier d’une biopsie, 51% en 2001. En 1999, 48% des patients ont pu bénéficier d’un traitement suite à la biopsie, contre 58% en 2001. En 1999, comme en 2001, 70% des patients ont été traités quand le résultat de la biopsie a été mentionné comme hépatite active.

En 2000, 15% des patients traités contre 40% en 2001, ont reçu une bithérapie peg-interféron + ribavirine. Selon les résultats préliminaires de l’essai Ribavic, le traitement des coinfectés VIH-VHC par cette bithérapie ne permettrait pas d’envisager plus de 30% de guérison. Nous attendons donc avec impatience les résultats définitifs de cet essai en termes de bénéfices histologiques (lésions du foie) et notamment de régression de cirrhose, malgré un échec virologique. Cet argument n’est toujours pas reconnu par les médécins alors qu’il est réellement capital pour les coinfectés. Car cette diminution de fibrose pourrait leur permettre de patienter jusqu’à l’arrivée de nouveaux traitements, moins toxiques et plus efficaces.

bilan international

A l’occasion du 19éme Congrès mondial de transplantation en août 2002 à Miami, un bilan général des greffes VIH a été fait. Trois essais américains (San-Francisco, Philadelphie, Pittsburgh) et un essai français (Villejuif) ont permis la réalisation de 51 greffes chez des séropositifs VIH avec une moyenne de suivi post-greffe de un an : 34 greffes de reins et 17 greffes de foie. Les résultats prouvent une réelle faisabilité de ces greffes.

San Francisco
Le Dr Michele Roland est la précurseur internationale en matière de greffes du foie chez des patients séropositifs depuis 1997. Elle est aussi à l’origine du protocole américain, étendu à plus de 15 centres de transplantation aux Etats-Unis, depuis qu’elle a réussi à convaincre des bailleurs privés de participer au financement de ces essais. Elle a publié les résultats préliminaires de son service : 7 patients séropositifs VIH ont reçu une greffe de rein et 4 une greffe de foie. Sur 11 patients, un seul est décédé, il avait 15 ans.
De plus, des débuts de rejets ont été constatés sur les greffés rénaux, alors qu’il n’y en a pas eu pour les greffes hépatiques. La moyenne des taux de CD4 post-greffe pour les 6 patients sans incidents est de 514. Tous les patients ont une charge virale VIH sous contrôle. Les patients ont eu une durée moyenne de suivi post-greffe de 1 an (de 1 mois à 2 ans). Au 14 janvier 2002, l’équipe de l’université californienne de San Francisco a obtenu un taux de 90% de survie à 1 an, équivalent aux mono-infectés VHC.

Pittsburgh
C’est à l’occasion du Congrès américain de transplantation 2002 qui s’est tenu à Washington que le Dr Michael de Vera de l’Université de Pittsburgh a présenté 6 cas de greffe du foie chez des patients coinfectés VIH - VHC. 3 des personnes greffées ont été réinfectées par le VHC après la greffe. Les 6 patients greffés ont poursuivi leur traitement anti-VIH en plus d’une thérapie immunosuppressive. Malgré ce traitement anti-rejet, les charges virales du VIH sont restées indétectables après la greffe, allant même jusqu’à 4 ans pour l’un des patients. Parmi les cas de réinfection par le VHC, l’un des patients n’a pas eu besoin de prendre de traitement spécifique, un autre a bien répondu à l’association ribavirine + interféron. Depuis 1999, l’université de Pittsburgh a réalisé 8 greffes de foie chez des patients coinfectés par le VIH et le VHC. Selon l’université, 2 patients sont décédés suite à des complications qui n’étaient pas liées au VIH ou au VHC.

Villejuif
L’ANRS a mis en place un essai de greffe pour des patients coinfectés, intitulé Thévic (HC-02). Le suivi prévu est de 2 ans. Cet essai est dirigé par le Dr Didier Samuel, hépatologue, et le Dr Vittecocq, infectiologue, au Centre hépato-biliaire de l’Hôpital Paul Brousse à Villejuif. Une présentation des résultats intermédiaires à été faite à Barcelone en juillet 2002, lors de la Conférence mondiale sur le sida. Les 6 premiers patients coinfectés ont subi une greffe de foie entre décembre 1999 et octobre 2001. Tous avaient une charge virale VIH stable et une cirrhose décompensée (score Chill-Pugh C), maladie terminale du foie. L’âge moyen était de 39 ans.
Les interactions entre les antiprotéases et l’un des immunosuppresseurs, le tacrolimus, ont provoqué deux rejets aigus (un pour sous dosage et un pour surdosage toxique d’immunosuppresseurs). Un seul patient a vu sa charge virale VIH augmenter. Un patient a développé une hépatite chronique VHC sévère, qui l’a obligé à prendre une bithérapie Peg-Interféron + ribavirine. Il a rapidement retrouvé une charge virale VHC indétectable. L’un des patients a fait un épisode de jaunisse inexpliquée, un autre une stéatose micro-vésiculaire due aux antirétroviraux, qui ont ensuite été modifiés. 4 patients sur 6 semblent avoir eu un net bénéfice en termes de qualité de vie et de reprise de poids, critère crucial en la matière. Avec un recul moyen d’un an sur les greffes (de 6 à 28 mois), un patient est décédé. Le taux de survie à un an est donc de 83% équivalent aux 85% chez les monoinfectés VHC. Ces premiers résultats sont satisfaisants et très encourageants.

urgences politiques

L’AmFAR (fondation américaine de recherche sur le sida) a organisé le premier meeting internationnal sur les greffes de patients coinfectés VIH-hépatites, les 10 et 11 janvier 2003, à New York. Des activistes américains comme Larry Kramer d’Act Up-New-York (dont nous reprenons ici la synthèse), Tracy Swan du Treatment Action Group de New-York et Brenda Lein du Project-Inform de San-Francisco ont cherché à faire un bilan des 60 greffes réalisées à ce jour dans le cadre d’essais thérapeutiques. Répondant à leur appel, les médecins impliqués, investigateurs des premiers essais pilotes, sont venus des Etat-Unis, d’Angleterre, d’Espagne et de France. Il s’agissait de faire le dernier bilan politique des 60 greffes internationales réalisées pour des coinfectés dans le cadre d’essais thérapeutiques.

Le premier constat établi est que nombre de chirurgiens refusent encore de pratiquer ces greffes, notamment à causes des risques de contamination. Une greffe du foie dure près de douze heures, avec la fatigue, les risques de piqûres accidentelles sont élevés et en cas de coinfection les risques de transmission sont accrus, les charges virales étant très élevées. Mais au fur et à mesure des réussites, de plus en plus de chirurgiens acceptent de s’y intéresser, relativisent, se spécialisent et s’organisent.

Il est urgent de créer un organisme international chargé de collecter et de diffuser les données afin de gagner du temps dans l’évaluation de l’efficacité des méthodes envisagées, dans l’amélioration des connaissances concernant les traitements préventifs des rejets de greffons. Il n’y a plus de temps à perdre, nous devons dépasser le déni ambiant d’hier en matière de coinfection VIH-hépatites, et celui qui règne aujourd’hui en matière de greffe. Les résultats de ces essais ne doivent pas être jetés aux oubliettes comme d’autres le furent par le passé.

Devrons-nous créer une liste d’inscription spécifique pour que tous les coinfectés cirrhotiques puissent être recensés ? Faudra-t-il en passer par là pour pouvoir accéder aux informations, choisir un centre de greffe et son programme d’éducation, pour pouvoir bénéficier de toutes les chances possibles pour recevoir un nouvel organe ? Ce n’est pas le cas aujourd’hui. En France, seul le CHB de Villejuif est autorisé pour l’instant à pratiquer des greffes VIH.

Aujourd’hui encore, le nombre d’organes greffés provenant de personnes ayant donné leur consentement avant leur décès, est réellement insuffisant. Face à ce constat dramatique, le moyen le plus efficace pour augmenter le nombre de dons d’organes est de recruter des coordinateurs pour chaque hôpital, dont le rôle est de sensibiliser les patients ayant un pronostic aggravé et d’obtenir de leur vivant, un consentement au prélèvement d’organes. Ce système est déjà en place à Pittsburgh, à Miami, mais aussi en Espagne et bientôt en France. Avec ce consentement, de précieuses minutes sont épargnées, la greffe d’organes devant être faite dans les six heures qui suivent le décès du donneur.

la pénurie « tolérée »

L’origine des foies greffés dans l’essai Thévic est multiple car à l’heure actuelle l’inscription en liste d’attente pour recevoir un foie n’est pas un moyen suffisant pour faire face à l’épidémie d’hépatite C, pourtant annoncée en France dès 1995. Le comité d’éthique de l’établissement français des greffes tente de trouver d’autres solutions pour diversifier les sources d’approvisionnement. Il existe cependant une autre liste dite de super-urgence pour les hépatites fulminantes et les décompensations accidentelles.

Le Centre hépato-biliaire de Paul Brousse a démontré l’utilité des greffes domino. Dans l’essai Thévic, sur les 6 premiers patients, 3 ont pu être sauvés grâce à ce type de greffe. La particularité de la greffe domino est que le foie d’une personne décédée peut être greffé à un premier malade, dont le foie à son tour sera greffé à un deuxième malade. Explication : le premier foie est greffé à un patient atteint d’une neuropathie amyloïde, maladie génétique incurable. Sans greffe, son évolution détruirait le foie en moins de 10 ans, mais s’il est greffé à une autre personne, la maladie n’étant pas transmissible, ce foie ne présente aucun risque et permet, à son tour, de sauver la vie d’un deuxième malade.

Il existe encore une autre source possible, mais examinée seulement en cas d’absolue nécessité en France, celle des donneurs vivants. Chez ces personnes, on ne prélève qu’une partie du foie car cet organe a la possibilité de se régénérer. Cependant, il est important de préciser qu’il existe des risques, même très rares, de problèmes opératoires pour le donneur.

l’excuse et la loi

La loi française concernant les donneurs vivants a été définie afin de contrecarrer toute possibilité de trafic d’organes humains. L’article L1231-1 du Code de la Santé Publique stipule : « Le receveur doit avoir la qualité de père ou de mère, de fils ou de fille, de frère ou de sœur du donneur, (...) en cas d’urgence, le donneur peut être le conjoint. » Les lois de bioéthique sont en cours de révision. La proposition de loi est la suivante « toute personne apportant la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans avec le receveur ».

Le 28 janvier 2003 au cours des débats au Sénat, Jean-François Mattéi a exprimé ses interrogations : « Quelle définition donner à ce "lien étroit et stable" ? (...) Je m’interroge aussi pour savoir s’il ne faut pas, dans certaines circonstances, protéger les gens contre leur propre générosité ».

philip

Pendant le temps de ces débats, un patient coinfecté ayant fait tous les examens nécessaires pour envisager la greffe et bénéficier d’un lobe du foie de son boy-friend, se voit obligé, au vu de l’aggravation de son état, de lancer officiellement la demande de dérogation pour donneur vivant. La réponse de l’Etablissement français des greffes ne se fait pas attendre. La loi en vigueur ne prévoyant pas encore le cas du PaCS, c’est un refus formel qu’il reçoit, daté de mi-décembre.

Son médecin fait alors une demande écrite à Jean-François Mattéi, en date du 21 décembre. Le patient recevra la réponse le 3 janvier par téléphone, et son médecin, par courrier à son retour de congé, le 6 janvier. Philip Brooks est mort la nuit précédente d’une décompensation fulgurante. La réponse invitait à prendre l’initiative, mais en cas de problème, le ministère de la Santé ne pouvait en être tenu pour responsable. La greffe avait quand même été programmée pour le 21 janvier 2003. Philip Brooks était un réalisateur de documentaires et de reportages, connu notamment pour son excellent reportage sur les travestis en Côte d’Ivoire, Woobi chéri. Il était surtout activiste.

Ailleurs un homme vivant depuis plus de dix ans avec sa compagne a dû passer par les mêmes épreuves. Elle était d’accord pour lui donner une partie de son foie ; ils ont pensé que la solution la plus rapide, vu l’urgence de la situation, serait le mariage. Seulement le maire de cette petite ville de province, le leur a tout simplement refusé car selon son expression « la greffe n’est pas un motif de mariage reconnu » !

L’étape finale de la modification des lois de bioéthique aura lieu en avril 2003, à l’Assemblée nationale. Au vu des cas dramatiques rapportés ci-dessus, un texte législatif trop flou permettrait sur le terrain à des acteurs peu scrupuleux d’en faire une application fantaisiste.

éthique du rejet

Pendant que les parlementaires français débattent d’éthique et de morale, les dispositions françaises ne concernent aujourd’hui qu’une quinzaine de patients dans un cadre de recherche. Le ministère de la Santé continue de se défausser sur des équipes de greffes mobilisées mais manquant de moyens pour faire face à l’épidémie.

D’ici 5 ans, au moins 5 000 coinfectés cyrrhotiques auront impérativement besoin de ces nouvelles techniques de greffe. Combien d’excuses fallacieuses vont-ils encore inventer ? Les vrais problèmes sont pourtant évidents à la pénurie des greffons s’ajoutent l’absence de moyens financiers et surtout le manque de volonté politique.