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Brigitte Lahaie, Ovidie, Estelle Desanges, Helena Karel, Loïc Luke, Mathieu Mallet. Avec le soutien d’Act Up-Paris et de Couples contre le sida.

sida : porno sans capote, danger assuré

vendredi 23 juin 2006

Face à la réalité de la pandémie et à son ampleur dans le monde, nous appelons l’industrie du X à plus de responsabilité.

Les films X tournés sans préservatif sont de plus en plus nombreux. Ils représentent aujourd’hui 35 % du marché gay et plus de la moitié des productions hétérosexuelles. Le bareback, qui valorise la baise sans capote, envahit les rayons des sex-shops homos et l’Internet, alors même que la communauté gay a été historiquement exemplaire sur les questions de prévention. Le milieu hétéro, faute d’une véritable communauté luttant contre le sida, n’a jamais été massivement préoccupé par ces problèmes : on n’y trouve pas forcément d’apologie de la prise de risque, mais l’indifférence face au sida a les mêmes conséquences que la diffusion du bareback chez les gays.

Quelles que soient les différences entre le porno homo et hétéro, la présence massive dans les catalogues de films non safe met en danger les actrices et les acteurs, et témoigne d’un manque de respect flagrant à l’égard du public. Face à la réalité de la pandémie et à sa dynamique catastrophique, tant en France que dans le monde, nous appelons l’ensemble de l’industrie du X à plus de responsabilité.

Des rapports non protégés mettent en danger directement les actrices et les acteurs. Tourner une scène sans capote, c’est filmer, potentiellement, une scène de transmission du VIH, ou d’une autre infection sexuellement transmissible. En conséquence, il est difficile de ne pas se sentir mal à l’aise à la vue de jaquettes estampillées « bareback », avec des accroches telles que « Ces minets sont gourmands de foutre ». Gourmands de foutre... et du sida aussi peut-être ? Avec tout ce qui va avec : fatigue, effets indésirables des traitements et maladies opportunistes ?

Ce malaise, ni les distributeurs ni les producteurs ne semblent le ressentir. L’efficacité financière est au coeur de leurs préoccupations, quitte à oublier la protection qu’ils doivent aux actrices et acteurs.

Certes, on peut toujours avancer, comme le font certains défenseurs des vidéos non protégées, l’argument de la liberté individuelle des actrices et des acteurs, ou prétexter qu’après tout ces derniers (ères) engagent leur seule responsabilité dans la prise de risque. C’est oublier un peu vite que les bases de la prévention ne sont pas connues également par toutes et tous, et que bon nombre de personnes peuvent ne pas se sentir concernées par le risque du VIH-sida. C’est oublier aussi que la précarité peut pousser des personnes à accepter des conditions de travail très dangereuses.

De nombreux producteurs savent bien utiliser cette précarité pour faire prendre des risques à leurs modèles. Certains, dans le milieu gay notamment, paient pour des scènes non protégées des cachets jusqu’à dix fois supérieurs à ceux d’un tournage safe. D’autres profitent de la délocalisation des productions dans les pays de l’Est ou du Maghreb. Le droit du travail y est moins regardant, le salaire proposé représente l’équivalent d’une petite fortune locale, les campagnes de prévention y sont insuffisantes et le sida est encore souvent tabou. Tout cela se conjugue pour pousser des actrices et des acteurs à tourner sans capote. Ces personnes, si elles sont contaminées, ne bénéficieront pas de la même prise en charge qu’en France. Il est bien à craindre qu’elles paieront de leur vie la somme reçue. Nous ne l’acceptons pas. Nous refusons enfin tout autant la pratique qui consiste à exiger un test de dépistage régulier aux actrices et acteurs. Il ne s’agit en aucun cas d’une mesure de prévention tout juste d’une disposition pour couvrir les producteurs vis-à-vis de leur assurance en cas de test positif. Jamais le dépistage n’a protégé du sida. Utilisé ainsi par les producteurs, il est avant tout un outil d’exclusion et de stigmatisation des personnes séropositives, dont on ne voit pas pourquoi, pour peu que les scènes soient protégées, elles seraient exclues des tournages.

La mise en danger des actrices et des acteurs doit cesser. Si l’ensemble de l’industrie pornographique, en dehors des productions qui sont ou ont su rester exemplaires, continue ainsi d’exposer ses employés à des risques mortels, elle devra en assumer la responsabilité : devant les médias, les tribunaux, comme cela s’est déjà produit aux Etats-Unis en 2004, et devant son public.

Les promoteurs des vidéos non protégées rejettent la responsabilité du marché sur la seule demande. Comme si l’offre ne déterminait pas les envies du public. Comme si, à force de répéter sur les jaquettes que le sexe sans capote est plus naturel, plus désirable, plus excitant, le public n’était pas incité à acheter des vidéos non protégées.

Mais quand bien même la vision simpliste des partisans du bareback serait justifiée, quand bien même ce serait la seule demande qui serait en cause, qu’est-ce qui empêche un producteur ou un diffuseur responsable de ne pas répondre à cette demande ? Protéger les parts d’un marché qui repose sur la mise en danger de personnes et la banalisation de l’épidémie n’a rien de glorieux. Il est de la seule responsabilité des producteurs et des diffuseurs de dire à leur public : « Le fantasme du sexe sans capote restera à l’état de fantasme, nous ne pouvons faire assumer un tel risque à nos actrices et acteurs, la réalité du sida et les responsabilités que nous avons vis-à-vis de vous nous en empêchent. » C’est aussi simple que cela. La preuve en est que des producteurs ont su dire non à ce marché et refusent de se soumettre à la prétendue pression de la demande bareback. Si eux ont pu le faire, qu’attendent les autres pour agir de même ?

C’est pourquoi nous demandons : aux producteurs de vidéos non protégées d’en cesser la réalisation ; et aux diffuseurs de ne plus vendre des films bareback. Une industrie du porno qui ne respecte ni ses modèles ni son public ne mérite pas d’être défendue. Elle doit s’attendre à voir ses responsabilités dénoncées. Nous, qui travaillons dans le porno, ou qui en sommes usagers (ères), attendons de l’industrie du X qu’elle valorise le plaisir safe, qu’elle rappelle aux spectatrices et spectateurs que capote et jouissance vont ensemble et qu’elle se mobilise contre le sida. La maladie, le sida et la mort ne nous excitent pas. Nous aimons le sexe, nous aimons la vie.


Cette tribune a été publiée dans Libération daté du vendredi 23 juin 2006.